Les Enquêtes: Noël

Un 24 décembre. Une villa de banlieue sous la neige. Le soir tombait avec les flocons. Agitation de circonstance dans le séjour décoré.
« Bon sang, vous vous y prenez comme un pied, lança Pervost alors que j’accrochais les guirlandes dans le sapin.

– Peut-être, me défendis-je, mais au moins, je ne casse pas les boules de Noël en cherchent à les faire rebondir sur le sol.
– J’avais pris la petite rouge pour une des super-balles rebondissantes de Kognakowsky, conclut évasivement mon camarade en allant vers la cuisine où Berta, l’épouse du professeur Schneider, préparait des toasts à la moutarde et au fromage.
– C’est très charmant d’être venu passer le réveillon de Noël chez nous, dit-elle avec son adorable accent germanique.
– C’est charmant à vous de nous recevoir, répondit Pervost, mais vous n’auriez jamais dû confier la décoration du sapin à Daniel. Cet homme n’a aucun goût.
– J’entends tout! criai-je du salon alors que je plaçais la fameuse étoile dorée sur la cime du sapin.
– Cessez de m’espionner et concentrez-vous sur votre tâche, dit l’insupportable Pervost sans se retourner vers moi le moins du monde.
– Vous savez, nous n’avons pas d’enfant, reprit Berta d’une voix amicale, alors si nous pouvons recevoir des amis, c’est très bien.
– Daniel et moi sommes célibataires, répondit Pervost, nous serions restés seuls chacun de notre côté, c’est idiot.
– Maintenant, j’entends la voiture, dis-je, voilà les autres. »

Le professeur Schneider accompagna le bruit du moteur par une série de coups d’avertisseur compromettante pour sa réputation. Il descendit du véhicule accompagné par Kognakowsky et Slavon, la fiancée de ce dernier. Couple sans enfants eux aussi, ils avaient décidé de nous rejoindre à la dernière minute, mais un départ en vacances arrosé à la vodka avec des collègues de bureau avait rendu Slavon inapte à la conduite. Quant à notre camarade soviétique, il n’avait pas son permis. C’est donc le professeur Schneider qui était passé les prendre à leur domicile.

« Nous n’arrivons pas les mains vides! » dit Kognakowsky en saisissant la bouteille de Vouvray qu’il avait posée sur la plage arrière. C’est à ce moment-là que Slavon s’écroula sur le sol en essayant de sortir du véhicule. Kognakowsky reposa la bouteille et prit dans ses bras sa fiancée qui était couverte de neige.
« Je vais t’aider à atteindre la maison, dit le soviétique en la portant avec assurance.
– Effectivement, vous n’arrivez pas les mains vides! » dit Berta qui avait suivi la scène depuis la porte d’entrée.
Le professeur Schneider tendit un bouquet de fleurs à sa femme tandis que Pervost, croyant échapper à mon regard, déroba quelques toasts sur le plan de travail de la cuisine.

« Le mieux est de la poser sur le canapé, proposa Berta. Son mari y plaça de suite la bouteille de Vouvray.
– Je m’étais permis de la prendre moi-même, ajouta-t-il.
– Je parlais de Slavon, reprit Berta.
– Ça ira intervint cette dernière, je peux encore marcher. »

Slavon atteint le canapé tant bien que mal sous le regard inquiet de la maîtresse de maison. Je descendis de l’escabeau sur lequel j’étais perché pour saluer les nouveaux arrivants et nous ne tardâmes pas à nous mettre à table.

« C’est amusant, confia Pervost en désignant un groupe de figurines décoratives, votre crèche ressemble à une collection de poupées russes.
– C’est une collection de poupées russes, répondit Berta.
– Fabrication française assurément, ajouta Kognakowsky, mais charmant quand même.
– Je croyais que votre collection se trouvait sur la commode à côté du sapin, dit bêtement Pervost en se tournant vers le meuble en question.
– Ceci est la véritable crèche, dit le professeur Schneider tout en servant à boire.
– Je comprends mieux pourquoi je n’arrivais pas à les emboîter les uns dans les autres avoua Pervost en déboutonnant le col de sa chemise.
– Oublions la bêtise de notre camarade un moment, conclus-je, et trinquons plutôt à cette soirée. »
Nous levâmes nos verres et Pervost, qui était à ma droite, me marcha discrètement sur le pied. Berta but une gorgée de Vouvray avec nous et se retira dans la cuisine pendant que je bousculai Pervost du coude, l’air de rien. Elle revint au séjour avec un pain-surprise qu’elle déposa sur la table.
« Savez-vous d’où vient le nom de cette formidable recette? demanda le professeur Schneider d’une voix pleine de mystère.
– C’est à cause des petits sandwichs situés à l’intérieur, répondit Pervost en me pinçant subrepticement la cuisse.
– Pas du tout, répondit Schneider avec fierté. J’ai mené une enquête seul ces derniers jours et je suis heureux de vous faire part ce soir du résultat. Le pain-surprise est appelé ainsi à cause de la surprise qu’il provoque non pas par les petits sandwichs qu’il renferme, mais par ce que les sandwichs eux-mêmes contiennent!
– Que voulez-vous dire? demandai-je.
– Ne me dites pas que vous serez surpris en trouvant des sandwichs dans ce pain-surprise, reprit Schneider. En revanche, leur garniture vous intriguera d’avantage car vous n’en aurez aucune idée.
– Je m’attends vaguement à de la mousse au thon ou au fromage à tartiner, hasarda Pervost en saisissant un sandwich qu’il plaça dans sa bouche.
– Alors? demanda Schneider en souriant.
– Mais… c’est de la banane? s’exclama Schneider en écarquillant les yeux.
– Vive la banane! hurla Slavon en applaudissant depuis le canapé.

– Calme-toi! ordonna Kognakowsky qui la croyait endormie.
– Franz a cru bon de couper des bananes en rondelles pour le premier étage du pain surprise, ajouta Berta en levant les yeux au ciel.
– Le premier étage? dis-je. Vous voulez dire que ça redevient normal après?
– Tout dépend de votre conception de la normalité, répondit Schneider. A vous de voir… »

Pour en avoir le cœur net, je m’emparai du sandwich situé sous celui que Pervost venait d’avaler et découvrit les joies de la crème pâtissière mélangée au pain de mie.

Les heures s’écoulèrent après plusieurs descentes de bouteilles d’alcool, Berta amena la bûche. Une belle bûche au café parfumée à l’Asti Spumante, Slavon ayant renversé son verre sur la pâtisserie après nous avoir rejoints autour de la table.
« Demain, je me mets au régime, annonçai-je la bouche pleine.
– Cela nous sera difficile, dit le professeur Schneider, les parents de Berta nous invitent à déguster une dinde aux marrons à leur domicile.
– J’espère que les quarante bornes qui nous séparent d’eux seront franchissables malgré la neige, se lamenta l’épouse du professeur d’une voix angoissée.
– C’est vrai que ça tombe sec, ajouta Kognakowsy en regardant par la fenêtre.
– Oh oui, hurla Slavon en fixant le vide, ça tombe comme des mouches! »

Après quoi la brave femme s’écroula sur le sol pour la seconde fois. Pervost se leva comme pour la relever, mais les douze coups de minuit sonnèrent à la pendule.

« C’est l’heure des cadeaux! cria-t-il avant de se précipiter vers son sac d’où il extirpa plusieurs petits paquets.
– Chez moi, le Père Noël passe au petit matin, dis-je, mais je serai probablement parti alors va pour la distribution. »

Des dizaines de paquets circulèrent sur la table. Ceux de Slavon qu’on avait étendue sur le dos à même la moquette lui furent empilés sur le ventre. Pour ma part, je reçus deux boîtes de chocolat, une cravate rouge, un stylo à plume de grande marque et… une biographie de Patrick Timsit. Pervost qui avait reçu une lampe de chevet à couleurs changeante voulut l’essayer dans le séjour, mais fit sauter les plombs en la branchant. Nous passâmes le reste de la soirée dans l’obscurité à chanter des chants de Noël auxquels nous nous plaisions à rajouter quelques paroles obscènes. Ce fut une fin de réveillon toute en musique, nos voix étant rythmées par les ronflements sonores de Slavon et le crépitement du feu de cheminée déclinant que le professeur Schneider avait allumé en début de soirée. Nous veillâmes jusqu’à tard dans la nuit, le ventre plein et les oreilles remplies de chansons…

Les Enquêtes: Rangement

« Cette fois, nous allons ranger le local, annonça Pervost en mordant dans un biscuit sec qu’il venait de prendre sournoisement dans son sac sans en proposer à qui que ce soit.
– Comment ça? m’étonnai-je.
– La dernière fois que vous avez voulu faire ça tout seul, reprit Pevost, je vous rappelle que cela a été un fiasco total! *
– Mais j’y avais été pour réparer des choses, me justifia-je, pas pour ranger.
– Et qu’avez-vous réparé?
– C’est une bonne idée ce projet de rangement, conclus-je sans répondre à la question, nous pourrions commencer tout de suite plutôt que de perdre du temps à discuter.

Nous décidâmes de nous y mettre tous les quatre.
« Kognakowsky, gronda Pervost avec autorité, je vois que vous ne pouvez vous résoudre à mettre dans votre tiroir tout ce qui se trouve sur votre bureau et que vous ne voulez pas jeter.
– De quoi parlez-vous? répondit le savant soviétique qui sursauta comme un écolier surpris en train de feuilleter un illustré pendant la classe.
– Cette petite balle par exemple, reprit Pervost en saisissant le jouet qu’il venait d’évoquer.
– Non! hurla Kognakowsky d’une voix perçante.
– Comment « non »?
– C’est celle qui rebondit très fort…
– A quoi sert-elle dans un local de recherche?
– Et bien…
– A rien du tout. Vous allez me faire le plaisir de ranger cette chose nuisible dans votre tiroir. Je compte jusqu’à trois. Un, deux…
– Vous y allez un peu fort, se lamenta Kognakowsky, j’ai besoin de l’avoir sous les yeux. Elle m’encourage, elle est si performante… Voyez comme elle rebondit bien. »
Joignant le geste à la parole, le savant ouvrit la fenêtre et laissa tomber la balle qui fracassa la carrosserie d’une automobile garée juste en bas de l’immeuble.
« Vous êtes content ? demanda Pervost d’une voix courroucée.
– Oh oui ! répondit Kognakowsky qui venait de récupérer la balle et de la poser sur son bureau. Elle rebondit toujours aussi bien… enfin… je veux dire… non, vous avez raison. C’est terrible pour le propriétaire du véhicule, mais je suis content pour ma balle.
– Voyons maintenant le bureau de notre ami Daniel… » poursuivit Pervost en rangeant la balle dans sa poche sous le regard consterné du savant russe.

Conscient du danger potentiel, je rangeais à la hâte la liste de courses qui traînait sur mon bureau à l’endroit qui me parût le plus judicieux, à savoir entre ma langue et mon palais.
« Et bien, s’étonna Pervost en me voyant debout, les bras le long du corps et le nez levé, on peut dire que vous êtes attentif à ma présence, vous m’avez l’air d’un soldat au garde-à-vous… »
Ne pouvant lui répondre, je saluai machinalement en plaçant l’extrémité des doigts de ma main droite sur ma tempe, la paume dirigée vers mon interlocuteur. Une vielle habitude prise avec mon ex-femme une fois l’explication des procédures donnée les jours de grand bricolage.
« Daniel, reprit le pauvre Pervost en s’avançant, votre état semble assez alarmant, vous êtes extrêmement pâle et vous respirez de plus en plus fort. »
J’avais alors une narine bouchée et, ne pouvant respirer par la bouche, j’émettais une gamme de sonorités nasales surprenante. Pervost me prit par les épaules et me demanda si je me sentais bien. C’est à ce moment là que je commençai à étouffer.
« Au nom du ciel ! s’affola mon camarade. Daniel, voulez-vous que j’appelle un médecin ? J’ai l’impression que vous avez avalé un tube de colle… Répondez-moi d’un signe de tête si vous ne pouvez pas parler… ce qui, au passage, nous fera des vacances … Et bien ? Pourquoi ce regard atterré ? J’ai dit une bêtise ? Comprenez-moi, j’ai toujours peur que vous ne me jetiez quelques grossièreté à la figure. »
N’en pouvant plus, je propulsai ma liste de course au visage de Pervost qui ne put s’empêcher d’en lire la première ligne.
« Daniel, grogna-t-il, nous avons souvent été en désaccord vous et moi, mais jamais encore vous ne m’aviez traité de Pizza Fraîch’ Up Buitoni aux quatre fromages… Vous me décevez beaucoup… »
Ravi de la tournure que prenait la séance, le professeur Schneider qui nous observait depuis sa petite chaise se laissa tomber en arrière. Il passa ensuite ses mains derrière sa tête et croisa ses jambes sur son bureau, ce qui eut la fâcheuse conséquence de faire tomber une bouteille d’eau ouverte sur une pile de documents entreposée à même le sol. Pervost partit aussitôt s’enfermer dans la cuisine.

« Et bien, dis-je en ramassant ma liste de course qui était tombée elle aussi, nous voilà livrés à nous même si je comprends bien.
– C’est pour lui faire plaisir que nous sommes venus ici, ajouta Kognakowsky en prenant un tabouret pour saisir une autre balle qu’il avait caché en haut d’une armoire. Il exagère!
– Je trouve que nous devrions mener une enquête sur lui, proposa le professeur Schneider sans rien faire d’autre en même temps.
– Vous n’épongez pas le sol? demandai-je.
– Pourquoi faire? s’étonna Schneider. L’eau sèchera par elle-même. Quant aux documents… ils ne m’avaient pas l’air très importants.
– Je suis le seul à pouvoir en juger, rugit Pervost qui revenait dans la pièce principale avec un verre d’aspirine, ces documents étaient les miens!
– Toutes mes excuses, dit le professeur Schneider à contre cœur, mais je vois ici une photo de femme nue…
– Votre vue vous joue des tours, répondit Pervost, c’est mon miroir de poche qui a du glisser du dossier. A moins que… »

Tous les regards se tournèrent vers la fenêtre d’en face. Le vis-à-vis donnait sur la chambre d’une étudiante et le reflet de cette dernière était apparu tout à fait par hasard dans le miroir de Pervost. Pas une parole ne fut prononcée avant que la jeune fille ne se soit retirée de la pièce. Pas plus qu’un geste ne fut esquissé d’ailleurs. C’est à peine si l’on distinguait le bruit de nos respirations.

Les heures passèrent. La nuit était tombée. Nous décidâmes d’un commun accord de nous installer tous les quatre avec nos chaises devant la fenêtre pour surveiller les apparitions de l’étudiante qui allait et venait dans sa chambre sans aucun vêtement. Un paquet de biscuits apéritifs fut sacrifié pour tuer l’attente entre les différents passages de la voisine. Les jambes croisés et la bouche pleine de cacahouètes salées, nous avions pris bien soin d’éteindre toutes les lumières du local pour ne pas être repérés. Un moment formidable!

* Référence à l’épisode perdu.

Les Enquêtes: Coquillages

« Pervost, vous ronflez ! dis-je en continuant à fixer la mer.
– Pardon ? répondit mon camarade en se réveillant mollement.
– Je dis que vous ronflez et que cela gâte mon plaisir.
– Quel plaisir ?
– Celui de regarder le mouvement des vagues.
– C’est trop fort ! dit Pervost en se redressant sur sa serviette de plage. Premièrement : je ne ronfle pas, ou si peu. Deuxièmement : je ne vois pas en quoi les ronflements que vous croyez entendre pourraient vous déranger.
– J’aurais dû faire la même chose quand vous lisiez hier soir, au camping…
– Ne me faites pas rire. On ne ronfle pas sur commande. De plus, la lecture nécessite de la concentration. Beaucoup de concentration.
– L’observation des vagues aussi.
– Moins.
– C’est votre point de vue. Pas le mien.
– Cessons cette discussion stupide. Vous avez tord, j’ai raison. Point. Il n’y a pas à discuter. Parlons plutôt des coquillages.
– Les coquillages ?
– Oui. Nous savons tous qu’en collant son oreille contre l’orifice d’un coquillage, on entend le bruit des vagues.
– Tant que personne ne ronfle à côté, oui.
– Bon. Nous sommes allongés sur le sable, face à la mer, avouez que l’expérience est tentante.
– Quelle expérience ?
– Celle qui nous permettrait de connaître le cri du coquillage. Sot !
– Pardon ? demandai-je en sortant la bouteille d’eau pour mon camarade que je suspectai de souffrir de déshydratation.
– Daniel, ne faites pas l’enfant. Puisqu’on entend la mer via un coquillage, il doit être possible d’entendre un coquillage via la mer. Il suffit pour cela de plonger à la recherche d’un orifice et d’y coller son oreille.
– Que faites-vous de l’eau ? demandai-je en sortant un tube de protection solaire.
– L’eau ? dit Pervost en saisissant la bouteille que j’avais posé à côté de lui et qu’il vida d’un seul trait. Merci, ajouta-t-il, ça fait du bien.
– Pas celle-ci ! dis-je. L’eau de mer. Vous savez que l’eau déforme le son.
– Par tous les diables ! J’avais oublié ! hurla Pervost.
– Moins fort ! m’offusquai-je en essuyant la crème protectrice qui m’avait jailli sur le visage.
– Vous avez trop appuyé sur votre tube, en effet, observa Pervost.
– Je parlais de vos cris stridents. Vous m’avez fait peur et j’ai fait un faux mouvement. Parlez moins fort !
– Taisez-vous ! hurla Pervost encore plus fort. Je viens d’avoir une idée. Une idée de génie.
– Celle de parler par gestes serait la bienvenue… Surtout pour mes oreilles !
– Oubliez vos oreilles ! Je vais fabriquer un appareil qui traduit les sons aquatiques en sons distincts. »
Refusant d’en entendre d’avantage, j’allai me baigner aussi sec.

Nous étions réunis le soir-même sous la tente de Kognakowsky pour assister à la démonstration. Le maître des lieux, le professeur Schneider et moi-même étions assis d’un côté sur des chaises pliantes, tandis que Pervost était debout de l’autre côté, face à une table sur laquelle reposaient un récipient rempli d’eau ainsi qu’un curieux appareil, visiblement bricolé à la va-vite.
« Y a-t-il un risque d’explosion ? demanda Kognakowsky, inquiet pour la toile des murs.
– Pas le moins du monde, le rassura Pervost d’une voix confiante. Je vais mettre la tête dans ce grand saladier et vous parler à travers ce micro étanche que vous voyez attaché à mon oreille et que je compte utiliser à l’intérieur d’un orifice sous-marin si l’expérience est concluante.
– Et ensuite ? demanda Schneider en se massant les jugulaires de la main droite d’une façon très agaçante (l’une avec le pouce et l’autre avec l’index).
– Ensuite vous allez me faire le plaisir de fermer votre braguette, nous ne sommes pas en Suisse. (cf : l’épisode Les policiers sont de mauvais joueurs) Et j’affirme que ma voix sortira de façon audible par le petit haut parleur situé au centre de l’appareil que vous voyez sur cette table.
– Balivernes ! commenta Schneider en atténuant les courants d’air de son entre-jambe par le geste attendu. Nous entendrons des bruits déplaisants si votre micro ne se détériore par entre temps au contact de l’eau…
– Tendez votre oreille avant de porter un jugement. Je commence l’expérience. »
Pour renforcer notre concentration et peut-être aussi pour nous faire peur (quel grand gamin!), Pervost souffla sur la seule bougie qu’il avait acceptée dans la tente. Au bout d’un certain temps, un brouhaha se fit entendre. Comme lorsqu’on souffle avec une paille dans un verre d’eau. L’expérience s’éternisant, j’allumai mon briquet pour voir ce qu’il se passait et nous comprîmes que Pervost n’arrivait plus à sortir sa tête du saladier. Nous nous jetâmes sur lui pour le libérer. Après avoir repris sa respiration, Pervost entra dans une colère noire et se jura de porter plainte contre l’entreprise qui fabriquait des saladiers où l’on ne peut même pas passer la tête. Il déclara que puisque nous avions entendu ses appels aux secours dans l’appareil de transcription, cela signifiait que l’expérience était positive.

Le lendemain matin à l’aube, nous étions, sur ordre de Pervost, à bord d’une barque en pleine mer pour assister à un nouveau triomphe de la science.
« Mes amis, s’exclama le maître de cérémonie en se levant au milieu de la barque, ce qui fit dangereusement chavirer cette dernière, vous allez assister à un événement sans précédent. L’appareil placé sur les genoux de notre ami Daniel va vous révéler dans un instant le cri du coquillage que vous serez les premiers à entendre. Je vous quitte pour mieux vous retrouver dans quelques minutes et ainsi partager votre joie. »
Pervost plongea sans plus attendre. Nous demeurâmes tous les trois dans la barque et une violente envie d’être ailleurs se manifesta par une série de respirations angoissées. Au bout de plusieurs secondes qui me parurent longues comme un remboursement de la SNCF, la voix du professeur Schneider me fit sursauter en me posant la question suivante :
« Daniel, est-il normal que le micro soit aussi sur vos genoux ? »
Pervost qui réapparut au même instant répondit à ma place par un grognement et s’empara du précieux objet avant de retourner dans les profondeurs sous-marines, non sans avoir entraîné avec lui l’appareil de transcription dont un câble de connexion s’était emmêlé à la jambe gauche du plongeur.

Le stand de saucisses-frites situé derrière le camping fut le moyen idéal pour oublier cette histoire et prendre du poids.

Les Enquêtes: Un homme au plafond

Alors que je m’occupai de la comptabilité de notre association, j’entendis clairement le rire de Pervost derrière la porte du local. Je reposai la note de notre dernier restaurant sur la pile des factures à trier et mis le nez sur le palier sans plus attendre. Rien. Pas même l’ombre d’une chaussure. Je retournai à mon bureau en haussant les épaules, mettant mon trouble auditif sur le compte de la fatigue. Il est vrai que je manquais de sommeil. Je m’étais réveillé la nuit précédente, suite à un mauvais rêve où je voyais la lettre b systématiquement remplacée par la lettre c dans la langue française. Je ne vous raconte pas ma réaction quand je me suis revu petit, à la cantine, en train de manger du baba au rhum! Quand le nom du gâteau a été remplacé suivant la nouvelle règle du songe, je me suis réveillé en sursaut et j’ai couru dans la salle de bain pour me rincer la bouche. J’ai eu toutes les peines du monde à me rendormir. Voilà pourquoi je pensais que la fatigue m’avait fait entendre le rire de Pervost en son absence et qu’il n’y avait pas à s’inquiéter. Hélas, je venais à peine de refermer le porte que j’entendis pour la seconde fois le ricanement redoutable. Je me ruai à l’extérieur. Toujours rien!

« Ha! Ha! faisait Pervost d’une voix fière. Par ici mon ami. Levez les yeux! »
Je m’exécutai pour découvrir mon associé tranquillement installé au plafond, la mine réjouie et les bras derrière la tête.
« Que faites-vous? demandai-je d’un air blasé (après mon cauchemar, je n’étais plus à ça prêt).
– Je savoure votre réaction.
– J’estime ma propre surprise toute en réserve, vous devez être déçu.
– Vous m’avez effectivement habitué à mieux. Je me souviens encore de votre cri strident quand Schneider est arrivé cet hiver avec une cagoule sur la tête. Vous étiez à deux doigts de perdre connaissance. Tandis que là, c’est à peine si vous m’avez vu.
– Mais si, je vous vois mon vieux. Vous êtes au plafond. Et alors? Que voulez-vous que ça me fasse.
– Ne voudriez-vous pas savoir comment j’en suis arrivé là?
– Honnêtement, non. Vous m’avez perturbé dans les comptes, je vais devoir m’y remettre. Vous m’excusez… »
Je commençai à refermer la porte quand la voix de mon associé me dissuada de prendre congés.
« Restez sur le palier Daniel, où j’appelle la police!
– La police? Pour quoi faire?
– Pour non assistance à personne en danger. Qu’est-ce qui vous dit que je suis capable de redescendre?
– Vous êtes parvenu à monter, faites la même chose en sens inverse.
– Quand vous plongez dans la piscine, êtes-vous capable de refaire la même chose dans l’autre sens?
– Je ne vais jamais à la piscine. J’ai peur de l’eau.
– Qu’est-ce que vous dites? fit la voix du professeur Schneider qui montait l’escalier en direction du local.
– Je dis que je ne vais jamais à la piscine, répondis-je.
– Il dit qu’il a peur de l’eau, compléta Pervost, toujours perché à sa place.
– C’est très fâcheux! s’exclama le professeur.
– Remarquez, dis-je, ça n’est pas l’eau qui m’effraie, ce sont les microbes qu’il y a dedans.
– Mais l’eau est renouvelée en permanence, rétorqua Schneider avec contrariété, et puis les gens se lavent avant d’y rentrer, vous devriez y réfléchir.
– Dites, s’impatienta Pervost, vous aviez remarqué que j’étais au plafond?
– Oui, oui, répondit Schneider pour avoir la paix, mais Daniel, vous savez qu’on doit être propre avant d’aller se baigner. Vous n’avez rien à craindre, je vous assure!
– Écoutez, m’emportai-je, j’ai du travail sur mon bureau, ne compliquez pas les choses avec vos conseils, je ne vous ai rien demandé.
– Je ne voulais pas vous froisser, se justifia Schneider, je suis venu pour utiliser mon télescope.
– Parfait, ironisa Pervost. Vous me verrez peut-être mieux une fois la mise au point faite sur votre appareil.
– Vous commencez à devenir pénible! s’emporta le professeur. On vous voie très bien, mon ami, et je précise que le télescope n’est pas pour vous, il est pour Pluton que je dois observer ce soir.
– Pluton? s’étonna Pervost.
– Oui, reprit Schneider, Pluton, le neuvième planète du système solaire, si vous préférez.
– Alors là, je vous arrête, intervins-je. Pluton n’est plus une planète.
– Qu’est ce que vous dites? s’offusqua Schneider.
– Pluton a perdu son statut de planète depuis 2006, confirmai-je.
– Clyde Tombaugh doit se retourner dans sa tombe.
– Je voudrais bien savoir qui est ce Clyde quelque chose, dit Pervost, et pour ma part, je me retourne vers le plafond puisque personne ne s’occupe de moi.
– Vous allez vous cogner, vous êtes trop prêt, dit Schneider, et pour répondre à votre question, Clyde Tombaugh est l’astronome qui a découvert Pluton en 1930.
– Et paf! dis-je en voyant le nez de Pervost heurter le plafond comme l’avait prédit le savant germanique.
– Ne vous moquez pas, je vous prie, dit Pervost en se frottant le nez, cela n’est pas facile d’être où je suis. D’ailleurs j’estime que vous brûlez de savoir ce que je fais là. Allez-y! Posez-moi la question!
– Pervost, vous êtes impossible, dis-je. Et d’abord que faites-vous au plafond?
– Ah! dit mon associé d’un air triomphant . Il a craqué! J’en pleure de joie. Enfin vous avez osé me poser la question qui vous préoccupait depuis le début.
– Si vous voulez, répondis-je en levant les yeux au ciel, ce qui me permit de voir que Pervost était toujours là où il prétendait être.
– Alors tenez-vous bien, je suis suspendu par un câble.
– C’est très bien! lança Scheider comme un père à son enfant ayant réussi à monter en équilibre surs une chaise pour la première fois.
– Vous, on ne vous a pas sonné, rugit Pervost. Cessez de m’interrompre. Je disais que j’étais suspendu à un câble. J’imagine que vous désirez savoir pourquoi…
– Nous ne le désirons pas, répondis-je, mais dites-le nous quand même.
– Et bien, poursuivit Pervost sans relever l’insolence de ma remarque, c’est un système d’alarme.
– Un système d’alarme? répéta Schneider avant de se taire sous la menace du regard de Pervost.
– C’est pour surprendre les voleurs. Si on vient la nuit alors que je suis attaché, je verrai la personne et pourrai la faire fuir en lui faisant peur.
– Oui, car pour ce qui est de lui courir après… commença Schneider d’une voix amusée.
– Je ne peux pas, je suis attaché! hurla Pervost de toutes ses forces en faisant bouger son installation. Et pour la dernière fois, cessez de m’interrompre!
– Mais vous n’allez pas rester comme ça toute la nuit? demandai-je, faussement inquiet.
– Pourquoi pas? répondit Pervost. Je viens de faire un test avec vous plutôt concluant car je vois bien que sous vos grands airs, vous êtes terrorisés tous les deux de me voir où je suis. Je compte revenir ce soir et ne plus bouger jusqu’à l’aube.
– Mais une chose me vient à l’esprit, dis-je en me mordant l’intérieur des joues pour ne pas rire à la remarque sur ma situation d’homme soi disant terrorisé, aucun vol n’a été commis dans notre local, n’est ce pas?
– Si, répondit Pervost, les mouchoirs en papier que j’avais laissé à ma place pour mon rhume la semaine dernière.
– Arrêtez-moi si je me trompe, dis-je, mais la semaine dernière, j’avais laissé un gâteau sur le bureau, un baba au rhum pour être précis. Quand je suis revenu de la cuisine avec une petite cuillère, il avait un aspect repoussant, ne me dite pas que…
– Si, confirma Pervost, j’ai éternué dessus car je n’ai pas réussi à mettre la main sur mes mouchoirs et or de question de faire ce genre de chose entre mes doigts.
– Cela explique mon rêve, pensai-je en retournant m’asseoir avec dégoût.
– Je vois que Daniel en a assez entendu, se lamenta Pervost. Et vous professeur, vous restez là à ne rien dire?
– Premièrement, vous m’avez défendu de parler, répondit Schneider, et deuxièmement, je vous ai pris vos mouchoirs pour nettoyer la lunette de mon télescope, mais pour l’amour du ciel, cessez de remuer de la sorte quand vous m’insultez, votre installation va finir par céder! Je vous achète un paquet neuf dès demain et je vous assure que le câble grince dangereusement, vous allez tomber, mon vieux. »

La chute de l’agent de surveillance en herbe confirma la dernière phrase du professeur et le câble ne fut jamais réutilisé. Quant à la note du baba au rhum que je venais de commander par téléphone chez le traiteur, je décidai de la faire passer en frais d’agence et la classai parmi les autres factures.

Les Enquêtes: Les policiers sont de mauvais joueurs

« Pas de panique, lança Pervost en allumant la mèche d’un bâton de dynamite, ça doit fonctionner.
– Vous êtes certain que c’est une bonne idée? »
Mon collègue me fit taire en me mettant la main devant la bouche. Nous étions à plus de 3000 mètres d’altitude sur le mont Titlis dans la haute vallée d’Engelberg en Suisse centrale. Pervost soutenait dur comme fer que la raréfaction de l’oxygène en montagne n’empêcherait en rien l’explosion de son petit jouet. Une attente des plus angoissantes durant laquelle je revis certains épisodes de mon existence en accéléré aboutit au noircissement de nos faciès et à la destruction de nos jaquettes en tweed acquises à prix d’or chez Harrods lors d’un séjour londonien.
« Magnifique! clama Pervost en se débarrassant des restes de sa veste coûteuse et hors d’usage. Quel triomphe pour la science!
– Votre pantalon en toile de chez De Fursac est également anéanti, lui fis-je remarquer en apercevant de larges portions de son caleçon à rayures.
– Les efforts de trois longs mois d’études sur le rapport entre oxygène et combustion sont enfin récompensés. Merci de me le confirmer, Daniel. Je vais de ce pas écrire mon rapport. »

Nous rentrâmes au chalet où Kognakowsky et le professeur Schneider nous attendaient en jouant au jeu des sept familles. Le soviétique nous fit signe de nous taire, mais Pervost partagea verbalement sa découverte en plaçant violemment ses mains sur la table. Les joueurs sursautèrent et leurs cartes tombèrent devant eux.
« C’est rageant! s’emporta Kognakowsky, il ne me manquait que le grand-père Max Schrek pour avoir toute la famille mauvaise mine dans mon jeu.
– Et moi il ne me manquait que la fille, la petite Lolita si joliment illustrée pour avoir la famille Kubrick au complet, rajouta Schneider.
– Quel jeu c’était? demandai-je.
– Les sept familles du cinéma, répondit le soviétique.
– En tous cas, repris-je, je me demande bien comment vous faites pour y jouer à deux. Il faut être trois au minimum.
– Vous faites bien votre lit tout seul, répondit le professeur Schneider, alors qu’idéalement, vous savez comme moi qu’il faudrait être quatre. Un pour chaque coin. Et pourtant vous y arrivez bien. Comme quoi rien n’est impossible n’est ce pas? »
Je baissais la tête, honteux devant tant d’évidence et ouvris ma braguette. Mon geste provoqua un vif brouhaha qui agita le chalet ordinairement si calme.
« Doux Jésus! Daniel! Êtes-vous tombé sur la tête? demanda le professeur Schneider en prenant Kognakowsky par la main qui se débattit aussitôt.
– Pas du tout, répondis-je. Nous sommes venus ici pour réaliser une expérience. Elle est terminée. Tout cela m’a donné un peu chaud, surtout l’explosion alors je fais prendre l’air à mon intimité et j’en profite pour vous poser la question suivante: ferme-t-on sa braguette par pudeur ou pour ne pas attraper froid?
– C’est ridicule! rugit Schneider. On la maintient fermée par pudeur c’est évident.
– Ce qui est ridicule, rajouta Pervost, c’est que tout le monde se foute du résultat. Vous m’avez vu entrer avec les vêtements déchirés et vous n’avez même pas réagi. Alors je vous le répète, l’expérience est positive! Je pars me changer.
– Pour en revenir à votre braguette, Daniel, dit Kognakowsky en se tournant vers moi, je pense contrairement à mon collègue germanique qu’on la maintient fermée par peur des courants d’air car une braguette ouverte, qu’est ce que cela peut faire à la pudeur? D’ailleurs regardez… »
Le savant russe se leva et ouvrit sa braguette à son tour. Il se tourna vers le professeur Schneider qui se voila la face de sa main droite. Pervost revint dans le séjour à ce moment-là.
« Mais ça ne se fait pas! dit-il.
– Je le fais bien, répondit le russe.
– Alors moi aussi! s’extasia Pervost en détachant frénétiquement les boutons du blue-jean de rechange qu’il venait d’enfiler dans sa chambre.
– Moi je l’ai déjà fait, conclus-je. »
Nous nous tournâmes tous les trois vers le professeur Schneider qui se sentit obligé de défaire sa braguette à son tour. Horrifié par son propre geste, il s’arrêta à mi-chemin. Nous lui sautâmes dessus pour l’obliger à finir ce qu’il avait commencé. S’ensuivit alors une déplaisante séance de cris grotesques après quoi une sensation de soulagement visible put se lire sur le visage du professeur.
« Quand je pense à ce que j’ai perdu en vivant jusqu’à aujourd’hui coupé du monde par ce zip ridicule, dit-il en jouant à le faire monter et descendre à un rythme fantaisiste. Venez, allons tester dehors la crédibilité de notre trouvaille fantastique. »

Ce qu’il y a de bien quand on passe 24h00 en garde à vue pour outrage aux bonnes mœurs sur la voie publique, c’est que comme on est enfermé dans une seule et même cellule, on est bien obligé de faire des expériences et donc de travailler pour passer le temps, ce qui est une bonne chose pour notre association. On a voulu voir lequel de nous quatre ouvrait sa braguette le plus vite, mais ça n’a pas été apprécié. Pourtant il se trouve que c’est moi qui ai gagné. J’ai tout de suite enlevé mon pantalon que j’ai fait tournoyer au-dessus de ma tête à une vitesse folle pour manifester mon enthousiasme et c’est là qu’on m’a mis dans une cellule à part. J’imagine que les policiers avaient parié sur un autre que moi. J’affirme ici avoir prouvé par la réaction que ma victoire a suscitée que les policiers sont de mauvais joueurs.

Les Enquêtes: Le pique-nique

« C’est une charmante idée que j’ai eu là d’organiser un pique-nique avec vous trois, déclara le professeur Schneider, très fier de lui en accélérant le pas.
– Celle de récupérer votre thermostat de trois litres d’eau pétillante que vous avez placé dans mon panier le serait davantage, confiai-je en tirant la langue avec lassitude.
– Voilà bien votre logique Daniel. Je n’ai pas de panier, vous en avez un et vous voudriez que nous soyons deux à porter quelque chose alors qu’il est possible d’épargner cette corvée à l’un d’entre nous. Votre égoïsme fait peine à voir…
– Il serait encore plus égoïste de ma part de garder le panier pour moi tout seul. Je pense que nous devrions alterner le transport de celui-ci, mon cher. »
Le professeur Schneider ne répondit rien et s’éloigna discrètement en faisant mine de s’émerveiller devant un champ de coquelicots situé sur notre chemin.

Kognakowsky et Pervost marchaient derrière nous en débattant avec conviction sur les origines du pique-nique. Leurs points de vue respectifs étaient évidemment en opposition. Pervost déclara:
« Mon ami, je pense que le pique-nique est le summum de l’évolution. C’est un luxe qui a mis des siècles à se mettre en place. Une pratique des plus modernes qui caractérise une fois de plus la suprématie de l’homme sur le règne animal. A-t-on jamais vu un rouge-gorge descendre du nid pour aller nourrir ses oisillons dans l’herbe quand arrivent les beaux jours?
– Balivernes! répondit Kognakowski. Pervost, le pique-nique est le retour à l’état sauvage. On a commencé par manger dehors pour ensuite bâtir dans les foyers des zones prévues à la dégustation. Et vous voudriez me faire croire qu’il s’agit là d’une pratique moderne? Laissez-moi rire…
– Je maintiens que ne peut s’offrir le luxe de manger dehors que celui qui s’est battu pour connaître le confort qu’il pourra ensuite délaisser temporairement. Comment voulez-vous que nos ancêtres aient eu le loisir de sortir quand l’intérieur n’existait pas? »
Furieux, le savant russe singea la démarche d’un homme de Cro-Magnon et bouscula Pervost qui n’ouvrit plus la bouche de la journée.

Nous nous étions mis d’accord pour un terrain légèrement en pente au bord d’une rivière avec un champ de vaches brunes à proximité pour avoir l’impression d’être encore plus nombreux. Le professeur Schneider sortit un sandwich de sa poche qu’il posa dans l’herbe et j’installai le saladier sur une nappe blanche à carreaux rouges que Pervost m’aida à déplier. Kognakovsky ouvrit son sac pour en sortir du poulet froid et un grand bol de mayonnaise. Schneider fouilla brusquement dans mon panier pour se saisir du thermostat auquel il bue une fort lampée sans prendre la peine d’utiliser un gobelet en plastique et laissa échapper un rot tonitruant en ouvrant bien grand la bouche pour en faire profiter l’assistance. Tout le monde se retourna y compris les vaches qui se rapprochèrent avec indignation. Le bougre souriait, la bouche toujours ouverte et se massait le ventre avec satisfaction.
« Le comportement que voici est inacceptable, déclarai-je d’un ton contrarié.
– Ben quoi? s’étonna le malappris en lâchant un deuxième rot d’une puissance moindre que le précédent, mais suffisante pour me faire monter la moutarde au nez.
– Vous n’avez rien à faire avec nous, hurlai-je. Partez d’ici!
– Où voulez-vous que j’aille manger? Dehors avec les bêtes? » répondit le professeur en regardant les vaches avec malice.
Nous prîmes sur nous pour passer outre la vulgarité de notre camarade et nous installâmes sur la couverture. Après tout, c’est lui qui avait organisé le repas, il eut été absurde de proscrire sa présence. J’avais préparé une salade de riz avec du thon et des tomates fraîches qui fut engloutie rapidement. Les problèmes arrivèrent au dessert: une tarte aux myrtilles qui fut aussitôt le centre d’attraction d’un essaim de guêpes passionnées. Nous eûmes heureusement le réflexe de rouler en galipette jusqu’à la rivière. Un fois dans l’eau, Kognakovsky joua à passer entre mes jambes à la nage avant de ressortir. Il était temps, nous étions déjà inquiets de son absence. Celui-ci sourit bêtement en mettant ses mains en éventail d’un air désolé.
“Et bien messieurs, lança Schneider, je crois que notre pique-nique est à l’eau.
– Votre humour est un peu déplacé, commentai-je. Nos vêtements sont fichus, voilà qui est fort désobligeant.
– Allez-donc sur l’autre rive me tendre la main pour me faire sortir au lieu de dire des âneries, ordonna Schneider.
– Vous êtes odieusement directif » me plaignais-je en nageant sur le dos.
Schneider en profita pour m’attraper les pieds et se laisser traîner jusqu’à la rive. J’escaladai la berge en haletant comme un animal et tendis ma main droite au professeur qui failli me faire perdre l’équilibre. Nous essorâmes nos vestes et nous allongeâmes dans l’herbe avant de repartir, histoire de reprendre notre souffle.
« Nous avons eu le temps d’avaler le salé, lança Kognakowsky, c’est déjà ça.
– Je voulais de la tarte, s’insurgea Schneider. Je ne suis pas satisfait.
– Vous êtes difficile, dis-je. Estimez-vous heureux de ne pas être couvert de piqûres, nous aurions pu manquer de réflexe. Et vous Pervost, vous ne dites rien depuis un moment…
– Il boude, répondit Kognakowski. Il n’a pas supporté que j’imite un primitif pour me moquer de sa théorie. »
Pervost leva les yeux au ciel et nous rentrâmes.

Sur le chemin du retour, les éternuements fusaient car des vêtements mouillés sur des corps d’âge mûr, voilà qui ne pardonne pas.
« Tous ça, c’est un peu votre faute, se plaignit Schneider en me regardant.
– Pourquoi dites-vous cela ? m’offusquai-je.
– Si vous ne vous étiez pas donné en spectacle pour essayer de me chasser, je suis persuadé que les guêpes seraient restées calmes.
– C’est un peu fort ! C’est vous qui avez fait le plus de bruit je vous signale !
– Il suffit ! Je n’écoute pas ce que vous me dites et sachez que je ne vous en veux pas du tout. Prenez plutôt exemple sur notre ami Pervost. On peut lui dire tout ce qu’on veut, il ne réagit pas lui au moins, n’est ce pas vieille pelure de melon ? »
Pervost ne répondit rien, mais se rua sur le professeur la tête la première. Cette dernière s’enfonça dans le ventre du savant germanique et les deux hommes roulèrent au sol tels deux écoliers se chamaillant pour une histoire de billes. Kognakowsky et moi-même tentâmes de les séparer, mais nous ne réussîmes qu’à recevoir des coups. Pervost était hystérique. Ayant accumulé de la rancœur durant toute l’après-midi, il se faisait une joie de libérer son stress en frappant quiconque se trouvait à portée de sa main. Je reçus une droite au menton et Kognakowsky un formidable coup de genou en plein ventre. La situation n’était plus de notre âge et nous dûmes rapidement cesser la querelle, haletant comme des chiens.
« Nous voilà dans un bel état, observai-je, qu’allons-nous dire à nos femmes ?
– Je n’en n’ai pas, précisa Pervost.
– Voilà qui n’est pas étonnant… » rajouta Kognakowsky.
Pervost leva la main et je voulus m’interposer, mais nous tombâmes tous les quatre au sol dans la confusion et roulâmes sur le terrain en pente jusqu’à une petite marre situé sur le bord du chemin. Nous avions essoré nos vestes pour rien et il ne nous restait plus qu’à recommencer. J’ai détesté ce moment.

Les Enquêtes: Les portables

« Allo ?
– Pardon ?
– Allo ?
– Mais je suis là !
– Je ne vous parle pas monsieur. Allo ? Mais non ! C’est à vous que je parlais. Non ! Sauf pour la dernière phrase !
– Mais décidez-vous, je ne comprends rien
– Silence !… Allo ? Je ne vous entends plus ! Mais ça n’est pas à vous que je demandais de faire silence, voyons…
– Ah ! Donc je peux parler ?
– Mais allez-vous vous taire !
– Il faudrait savoir ! »

Voilà en gros le type d’échange qu’on peut entendre entre un utilisateur de kit mains libres et un être humain. Schneider et Pervost en ont eu pour leurs frais ce matin. Alors que nous cherchions ensemble une bibliothèque réputée pour le confort de ses coussins dans la zone jeunesse, nous avons aperçu un drôle de bonhomme qui parlait tout seul. Mes deux compères voulant en savoir plus m’ont alors abandonné, mais j’ai pu suivre leur conversation d’une oreille que je vous rapporte ici (la conversation, pas l’oreille).
« C’est quoi ? demanda Pervost.
– Visiblement ça marche sur deux jambes… répondit Schneider d’un air détaché.
– Croyez-vous que ça parle ?
– Naturellement, sinon, ça ne serait pas dans une bibliothèque.
– Je vous arrête, mon cher. Ici on lit. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire d’être doué de l’usage de la parole pour savoir lire. Oseriez-vous prétendre qu’un sourd muet est obligatoirement analphabète ?
– Je ne dis pas ça, mais regardez, ça ouvre la bouche… »

Mettant provisoirement un terme à la discussion, le drôle de bonhomme se mit à parler tout seul.

« On verra plus tard, chuchotait la chose, je suis dans une bibliothèque.
– Il est surtout grotesque, commenta Pervost à voix basse.
– Il doit avoir ses raisons, l’excusa Schneider. Il parle peut-être à son ventre qui lui réclame quelque nourriture?
– Ou alors il parle à ses impulsions. Il a envie de jouer du saxophone ou de manger du museau en gelée, mais il est dans une bibliothèque, alors il le signale à voix haute pour s’en persuader lui-même.
– Du museau en gelée ? s’affola l’allemand.
– Ou bien des pieds de porc à la confiture de mangue, rugit Pervost. Ne faites pas l’idiot, Schneider, vous voyez très bien de quoi je parle. Ne pensez-vous pas que la situation est déjà suffisamment terrifiante ?
– Pardonnez-moi, fit l’autre. On voit bien que nous n’avons pas les mêmes habitudes. Chez moi, on penserait plutôt à du lard aux œufs ou à du saucisson à l’ail.
– Chut ! » firent quelques lecteurs agacés en fusillant du regard mes camarades penauds.

Le drôle de bonhomme avança vers un rayon alors que Pervost ne s’y attendait pas. Ce dernier étouffa un gémissement d’effrois. Schneider prenait sur lui, mais la terreur se lisait sur son visage. Le type prit un volume qu’il manipula et le reposa aussitôt. Il passa la main dans la poche intérieure de sa veste et marcha précipitamment vers la sortie. Mes camarades marchèrent sur ses traces. Je vis le drôle de bonhomme par la fenêtre qui parlait tout seul. Il tenait quelque chose à la main et fut rapidement rejoint par mes acolytes. Je ne pouvais suivre la conversation, mais celle-ci semblait plutôt animée. Le type faisait de grands gestes pour faire taire Schneider et Pervost qui étaient en train de lui parler tous les deux en même temps. Le bonhomme parlait aussi, mais il n’avait pas l’air de leur répondre si l’on en croit son regard braqué vers le sol.

Mes deux amis ont fini par jeter l’éponge et sont venus me rejoindre dans la bibliothèque.
« Alors ? demandai-je.
– Il semble corrompu par quelque symptôme inconnu, expliqua le professeur Schneider.
– Sa vie est-elle en danger ? m’inquiétai-je.
– Je ne pense pas. Le mieux est d’appeler une ambulance.
– Regardez ! cria Pervost soudainement sous la huée des autres lecteurs. Il s’en va !
– Bon sang ! fit Schneider. Nous ne saurons jamais de quel mal souffrait cet animal ! »

C’est beaucoup plus tard que nous apprîmes l’existence du kit mains libres, mais nous ne savons toujours pas pourquoi ces drôles d’animaux qui les utilisent déambulent de la sorte en plein centre-ville.

Les Enquêtes: Les trains

Aujourd’hui, nous nous sommes jetés à l’eau. Il fallait bien que quelqu’un se penche un jour ou l’autre sur cette question délicate : pourquoi les gens se lèvent-ils en avance pour descendre du train ?

Plusieurs théories sont à envisager.

La première : les gens ont envie de faire caca tous en même temps. Affolés à l’idée de rester debout sans bouger dans un tel état, ils se jettent vers la porte le plus tôt possible pour éviter d’attendre à l’arrivée.

La deuxième : les gens sont manipulés par quelqu’un ou quelque chose. Ils perdent conscience, sont hypnotisés par un ultrason et se dirigent vers la porte. Ils reprennent alors conscience une fois sur le quai et restent un peu ébahis quelques minutes. C’est pour cela que c’est toujours plus ou moins mou du genou quand on essaye de traverser la gare dans ces moments-là.

La troisième : les gens sont bêtes. Ils ne savent pas du tout pourquoi ils se lèvent. C’est d’ailleurs probablement la théorie la plus plausible.

Il nous fallut donc prendre un train. Nous étions tous les quatre entre la gare de Bourges et celle de Paris Austerlitz quand une vieille dame s’est levée soudainement de sa place.
« Où sommes-nous ? demanda Schneider.
– Nous venons de passer la gare des Aubrais, répondit Kognakowsky.
– Les Aubrais ? demandai-je.
– Oui, nous sommes au niveau d’Orléans, reprit le soviétique.
– C’est terrible ! commentai-je.
– C’est affolant, renchérit Schneider.
– C’est pire que la télévision, conclut Pervost en simulant un renvoi.
« Madame, intervins-je d’une voix très remontée, ce que vous faites est extrêmement troublant pour les jeunes yeux qui vous regardent. Voyez cette petite fille, elle va croire que le train a un problème si vous essayez de descendre en pleine voie.
– Pardon ? demanda la dame à la dent jaune et à la fesse fripée (enfin, pour la dent, ça saute aux yeux, mais pour le reste, ça n’est pas dur à deviner).
– Je dis que vous allez vous rasseoir bien sagement sans faire d’histoire, répondis-je en élevant ferment la voix.
– Oh ! »
La vieille ouvrit de grands yeux et prit les autres passagers à témoin. Tout le monde avait l’air de s’en foutre. Un petit vieux glissait subrepticement l’air de rien la main dans son pantalon pour soulager une crise de psoriasis anale très violente tandis qu’un garçonnet d’à peine huit ans versait le contenu d’une canette de jus d’orange dans l’espace séparant la chemise de sa petite sœur de la nuque de celle-ci. Mes acolytes se levèrent pour donner plus de poids à mon discours et la vielle calamité crut en toute légitimité à une intervention musclée des forces de l’ordre.
« C’est une honte ! cria-t elle en allant se rasseoir. De mon temps, on s’occupait d’avantage de remettre en place le relâchement d’une jeunesse par trop négligée que d’importuner de la sorte les personnes d’âge respectable telles que moi.
– On va déjà vous faire respecter certaines règles élémentaires de savoir vivre, rugit Schneider au monticule de chaire usée qui tremblait dans son fauteuil en retenant à grand peine un jet d’urine ô combien salvateur. On voyage assis, c’est comme ça. Les portes ne s’ouvrent pas entre les gares.
– Alors tenez-vous tranquille, rajouta Pervost, parce qu’on ne raffole pas des marioles par ici. C’est clair ? »
Un hurlement se fit entendre à l’autre bout du wagon. Visiblement, Kognakowski ne supportait pas de voyager debout et la durée de la confrontation avec l’immondice du troisième âge était venue à bout de sa résistance. Les éventails de son cœur palpitèrent de travers et le sympathique croissant au beurre absorbé en région Centre quelques heures plus tôt refit brusquement surface au fond de sa gorge sous une apparence nouvelle et déroutante. Le savant russe s’était rué vers les cabinets, mais le croissant au beurre fut le plus rapide. Un contrôleur alerté par le bruit fut aspergé en plein visage et tout le monde se tourna vers le spectacle en poussant diverses exclamations assez bruyantes et surtout riches de signification.

Pervost continuait à sermonner la dame en la frappant au crâne à l’aide de son porte feuille et j’étais allé me rasseoir avec Schneider qui s’endormit instantanément. J’étais un peu vexé car je comptais sur lui pour parler d’autre chose. Entre nous ces histoires de vomi et de vieille rouée de coups par mon camarade commençaient à me donner mal à la tête. En plus elle venait de perdre connaissance et Pervost était aux prises avec trois contrôleurs assez costauds. Kognakowski étaient à genoux au dessus de la cuvette des cabinets et Schneider commençait à ronfler bref, c’est pour ça que je me suis levé et dirigé vers les portes du wagon pour être le plus loin possible de mon petit groupe qui me décevait au plus haut point. C’est à ce moment là que j’ai entendu une voix dans mon dos qui disait :
« Assis monsieur ! »

Les Enquêtes: Trois heures sur le trône

La semaine dernière, j’ai pris le train pour Marseille dans un but professionnel. C’est du moins ce que j’ai dit à mes collègues pour faire passer le billet en note de frais. Je leur ai dit que j’allais prélever des échantillons d’une plante poussant dans le sud pour faire des analyses alors qu’en réalité j’avais simplement envie de me baigner.
A peine parti, j’ai senti qu’un besoin pressant me commandait de me diriger urgemment vers les toilettes de mon compartiment. Bien mal m’en prit car j’ai du pour ce faire contourner le postérieur d’une vieille dame de gabarit massif qui bloquait le couloir. Ce contact odieux m’a rappelé que jamais au grand jamais je ne devrai dépasser les soixante-quinze kilos car s’il est une situation embarrassante, c’est bien celle où l’on bloque les autres parce qu’on est trop gros. Elle arrive dans le classement des situations embarrassante juste derrière celle où, se croyant seul dans une pièce on se met à quatre pattes en miaulant (n’ayez pas honte, on l’a tous fait !) et en tournant la tête, on aperçoit sa femme rentrée à l’improviste qui refusera par la suite d’argumenter avec vous de quelque manière que ce soit.
Une fois sur le trône, j’ai laissé mon esprit partir un peu où il le voulait comme on le fait souvent dans ce genre de situation et celui-ci m’a transporté dans un pays merveilleux où les animaux dominent les hommes. Je me voyais brouter paisiblement dans une prairie en fleur tandis que mon chien resté seul à la maison faisait tout le sale boulot.
Les problèmes ont commencé quand j’ai voulu sortir de la pièce. Impossible. Moi : Jérôme Daniel, chercheur professionnel sur les phénomènes inexpliqués coincé dans les toilettes d’un train entre Paris et Marseille. Voilà qui est officiellement inacceptable et pourtant, c’est bien ce qui est arrivé. Je me suis dit: de deux choses l’une. Ou bien je tambourine comme un forcené sur la porte jusqu’à ce que quelqu’un daigne venir à mon secours auquel cas je risque fort de passer pour un piètre agitateur voulant se donner en spectacle, ou bien je prends mon mal en patience et attends d’être arrivé à Marseille où, je l’espère, on ouvrira la porte ne serait-ce que pour aérer la pièce (ça doit bien faire partie des mesures d’hygiène en vigueur, non ?). Je me suis mis à rire tout seul en imaginant la tête du type qui ouvrirait la porte avec son passe (ils ont forcement un passe sinon je suis foutu !) et qui me trouverait là, jambes croisées et bras derrière la tête comme je le fais souvent. C’est d’ailleurs cette position négligée qui m’a valu un rattrapage à l’oral pour le baccalauréat. Il faut dire que je préfère me mettre à l’aise quand on me pose une question car je sais qu’ensuite, je vais devoir me concentrer pour y répondre. Alors autant se détendre et penser à autre chose pendant qu’on la pose, c’est à mon sens le meilleur moyen pour garder son calme. Enfin, ça n’a pas vraiment plu, mais c’est sans importance, je ne voulais pas vous parler de ça maintenant.
Au bout d’une heure, je me suis dit que c’était triste de rester tout seul sans voir dehors alors que la campagne française est si belle. J’ai donc essayé d’enfoncer la porte des toilettes. Je me suis luxé l’épaule droite. Une voix lointaine ma demandé si tout allait bien. J’ai répondu que oui car je ne voulais pas me faire remarquer. Finalement, j’ai sorti une allumette qui traînait dans ma poche et je l’ai craquée contre mon pantalon. J’ai ensuite attendu le plus longtemps possible tout en chronométrant ma performance. Il se trouve que je ne me suis brûlé les doigts qu’au bout de trente et une secondes, ce qui est remarquable ! Il me fallait ensuite trouver un nouveau jeu pour m’occuper car je n’avais qu’une seule allumette et tous mes magazines étaient restés dans mon sac qui lui-même était resté à ma place. Il ne me restait plus qu’une seule solution. Vous l’aurez tous deviné, je parle évidemment de concours d’apnée. J’ai regardé ma montre et j’ai retenu ma respiration. Dix secondes. Trente secondes. Une minute. La vache ! Je ne pensais pas être capable de retenir ma respiration aussi longtemps ! Une minute trente. Grand trou noir. Plus rien. Je me suis réveillé à l’hôpital Saint-Joseph de Marseille. Ce que m’a dit le type qui semblait être le médecin en chef à mon réveil m’a sidéré : « Ne jouez plus à ça monsieur, c’est très dangereux. »
Comme si j’avais fait exprès de me retrouver enfermé dans les toilettes ! Il est des moments où l’on se sent entouré d’êtres irresponsables. Comment voulez-vous vous sentir en sécurité dans un monde pareil ? J’ai voulu me fixer des buts pour oublier cette horrible journée gâchée par l’incident du médecin, mais en sortant de l’hôpital, je me suis senti vidé. Heureusement qu’une gamme de chocolat en poudre aromatisé à la banane vient d’être mise sur le marché.