Les Enquêtes: Trois heures sur le trône

La semaine dernière, j’ai pris le train pour Marseille dans un but professionnel. C’est du moins ce que j’ai dit à mes collègues pour faire passer le billet en note de frais. Je leur ai dit que j’allais prélever des échantillons d’une plante poussant dans le sud pour faire des analyses alors qu’en réalité j’avais simplement envie de me baigner.
A peine parti, j’ai senti qu’un besoin pressant me commandait de me diriger urgemment vers les toilettes de mon compartiment. Bien mal m’en prit car j’ai du pour ce faire contourner le postérieur d’une vieille dame de gabarit massif qui bloquait le couloir. Ce contact odieux m’a rappelé que jamais au grand jamais je ne devrai dépasser les soixante-quinze kilos car s’il est une situation embarrassante, c’est bien celle où l’on bloque les autres parce qu’on est trop gros. Elle arrive dans le classement des situations embarrassante juste derrière celle où, se croyant seul dans une pièce on se met à quatre pattes en miaulant (n’ayez pas honte, on l’a tous fait !) et en tournant la tête, on aperçoit sa femme rentrée à l’improviste qui refusera par la suite d’argumenter avec vous de quelque manière que ce soit.
Une fois sur le trône, j’ai laissé mon esprit partir un peu où il le voulait comme on le fait souvent dans ce genre de situation et celui-ci m’a transporté dans un pays merveilleux où les animaux dominent les hommes. Je me voyais brouter paisiblement dans une prairie en fleur tandis que mon chien resté seul à la maison faisait tout le sale boulot.
Les problèmes ont commencé quand j’ai voulu sortir de la pièce. Impossible. Moi : Jérôme Daniel, chercheur professionnel sur les phénomènes inexpliqués coincé dans les toilettes d’un train entre Paris et Marseille. Voilà qui est officiellement inacceptable et pourtant, c’est bien ce qui est arrivé. Je me suis dit: de deux choses l’une. Ou bien je tambourine comme un forcené sur la porte jusqu’à ce que quelqu’un daigne venir à mon secours auquel cas je risque fort de passer pour un piètre agitateur voulant se donner en spectacle, ou bien je prends mon mal en patience et attends d’être arrivé à Marseille où, je l’espère, on ouvrira la porte ne serait-ce que pour aérer la pièce (ça doit bien faire partie des mesures d’hygiène en vigueur, non ?). Je me suis mis à rire tout seul en imaginant la tête du type qui ouvrirait la porte avec son passe (ils ont forcement un passe sinon je suis foutu !) et qui me trouverait là, jambes croisées et bras derrière la tête comme je le fais souvent. C’est d’ailleurs cette position négligée qui m’a valu un rattrapage à l’oral pour le baccalauréat. Il faut dire que je préfère me mettre à l’aise quand on me pose une question car je sais qu’ensuite, je vais devoir me concentrer pour y répondre. Alors autant se détendre et penser à autre chose pendant qu’on la pose, c’est à mon sens le meilleur moyen pour garder son calme. Enfin, ça n’a pas vraiment plu, mais c’est sans importance, je ne voulais pas vous parler de ça maintenant.
Au bout d’une heure, je me suis dit que c’était triste de rester tout seul sans voir dehors alors que la campagne française est si belle. J’ai donc essayé d’enfoncer la porte des toilettes. Je me suis luxé l’épaule droite. Une voix lointaine ma demandé si tout allait bien. J’ai répondu que oui car je ne voulais pas me faire remarquer. Finalement, j’ai sorti une allumette qui traînait dans ma poche et je l’ai craquée contre mon pantalon. J’ai ensuite attendu le plus longtemps possible tout en chronométrant ma performance. Il se trouve que je ne me suis brûlé les doigts qu’au bout de trente et une secondes, ce qui est remarquable ! Il me fallait ensuite trouver un nouveau jeu pour m’occuper car je n’avais qu’une seule allumette et tous mes magazines étaient restés dans mon sac qui lui-même était resté à ma place. Il ne me restait plus qu’une seule solution. Vous l’aurez tous deviné, je parle évidemment de concours d’apnée. J’ai regardé ma montre et j’ai retenu ma respiration. Dix secondes. Trente secondes. Une minute. La vache ! Je ne pensais pas être capable de retenir ma respiration aussi longtemps ! Une minute trente. Grand trou noir. Plus rien. Je me suis réveillé à l’hôpital Saint-Joseph de Marseille. Ce que m’a dit le type qui semblait être le médecin en chef à mon réveil m’a sidéré : « Ne jouez plus à ça monsieur, c’est très dangereux. »
Comme si j’avais fait exprès de me retrouver enfermé dans les toilettes ! Il est des moments où l’on se sent entouré d’êtres irresponsables. Comment voulez-vous vous sentir en sécurité dans un monde pareil ? J’ai voulu me fixer des buts pour oublier cette horrible journée gâchée par l’incident du médecin, mais en sortant de l’hôpital, je me suis senti vidé. Heureusement qu’une gamme de chocolat en poudre aromatisé à la banane vient d’être mise sur le marché.

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