Épisode cinq: Guerre de clans
Chapitre trois: Le repère des nains
Balloté à dos de nain sur un chemin caillouteux, Hercule reprit conscience après un horrible rêve où il se voyait dévoré par son propre lit. Celui qui portait l’armure ainsi que la responsabilité de chef de groupe marchait devant les autres en beuglant comme un âne:
« Allez! Han! Du nerf! Han! Han!… »
Hercule sourit en pensant que c’était plutôt agréable de faire du tourisme sans avoir à marcher. Il changea d’humeur quand les nains le projetèrent au sol. Le prisonnier fut poussé du pied vers l’entrée d’une grotte, puis devant la porte d’une cellule où plusieurs hommes au crâne lisse le regardaient avec compassion. On l’enferma avec eux après avoir défait ses liens. L’un des chauves lui lapa le crâne de se langue râpeuse.
« Mais qu’est-ce que vous faites? s’emporta le futur gendre du roi.
-C’est le signe de reconnaissance, tu sais bien… répondit le détenu.
-Je ne sais rien du tout, je ne vous connais pas.
-A d’autres. Tu es en sécurité avec nous, tu n’as plus besoin de te cacher. »
Les autres prisonniers se rapprochèrent d’Hercule et lui lapèrent le crâne à leur tour en faisant des bruits de limaces piétinées par des sangliers. Le guerrier gémit de dégoût avec une voix suraiguë qui trahissait certains aspects de sa personnalité…
Dehors, Phileas et Damien suivaient les traces de pas des nains tout en se racontant des histoires de fesse pour tuer le temps. Le sorcier s’arrêta en riant, souleva sa robe noire et illustra la chute d’un calembour d’un geste significatif de la main droite quand le barbu, le regard livide, lui indiqua du doigt qu’il y avait derrière lui matière à cesser les jérémiades. En effet, un organisme d’au moins trois mètres de hauteur à la forme très particulière se tenait face à Phileas et regardait avec convoitise les petits bras mobiles de Damien qui lui tournait le dos. La chose se baissa et se péta une dent en voulant croquer le coude du sorcier.
« Aïe! gémit Damien. Qu’est-ce qui s’est passé?
-On dirait une paire de burnes… constata le barbu.
-Un kropignouf? s’affola le sorcier. Nous voilà bien… »
Il se retourna pour admirer avec son camarade la créature qui venait de le mordre et qui évoquait de manière très explicite une paire de testicules d’une taille gigantesque.
Hercule se tenait le dos plaqué contre la porte de la cellule pour être le plus loin possible de la banquette d’où les chauves le regardaient sans comprendre sa réticence.
« N’approchez pas, hurla-t-il, où j’avale ma langue et je fais croire aux nains que c’est vous qui m’avaient tué!
-Si tu meurs en avalant ta langue, tu pourras pas leur dire, commenta un chauve.
-Je leur ferai comprendre par geste! insista Hercule.
-Il est con. » reprit le chauve.
Le guerrier se fâcha tout rouge et, s’apercevant qu’on ne lui avait pas retiré son épée, sortit cette dernière de son fourreau pour l’agiter convulsivement au-dessus de sa tête dans l’espoir d’effrayer les autres détenus. Ceux-ci identifièrent le geste d’Hercule comme le signal de rébellion appris à l’entraînement et se jetèrent à la grille en hurlant des injures à l’égard des nains tout en frappant les barreaux du poing. Plusieurs gardes arrivèrent pour demander des comptes aux agitateurs. Tous les chauves pointèrent Hercule du doigt en expliquant qu’il était l’initiateur du mouvement et qu’ils n’avaient fait qu’obéir. Le prétendant de la princesse Diane fut roué de coups et privé de son épée par ses geôliers qui l’abandonnèrent au sol comme une vieille chaussette. Les autres tentèrent de le relever, mais Hercule, toujours sur le dos, refusa d’être touché par ses camardes de cellule et leur cracha dessus avec colère. Sa salive monta de façon menaçante pour ensuite retomber lamentablement sur son propre visage sans avoir atteint la moindre cible. Humilié, le garçon s’essuya de la main et se releva seul. Les chauves s’abstinrent du moindre commentaire pour ne pas faire d’histoire.
« Le sortilège va bientôt cesser de fonctionner, annonça Damien à son coéquipier tout en maintenant un écran de protection autour d’eux sur lequel la paire de burnes sautait à pieds joints depuis déjà cinq bonnes minutes.
-Au diable les tours de passe-passe, s’enflamma Phileas en brandissant son arme, je préfère me battre. »
Joignant le geste à la parole, le guerrier frappa le kropignouf à l’orteil en poussant son cri d’assaut. La créature leva la tête au ciel pour sortir sa langue qu’elle agita en émettant un signal sonore comparable à celui de Jacques Villeret dans La soupe aux choux. Aussitôt trois de ses congénères arrivèrent au pas de course et Phileas retourna dans le champ de protection du sorcier.
« Ça tombe très mal, précisa Damien.
-Comme une colique néphrétique le jour de son propre mariage, rajouta Phileas. »
Hercule fut tiré de son mutisme par un nain gradé qui le fit sortir de sa cellule.
« Tu vas nous cracher le morceau, annonça-t-il.
-Je préfère pas, répondit bêtement Hercule, la dernière fois que j’ai craché, ça s’est retourné contre moi.
-Silence! aboya le nain. Tu parleras quand on te le dira. »
Mettant un terme à toute forme de débat, l’un des gardes bâillonna Hercule de la main et le força à avancer plus vite.
« Plus que trente secondes, annonça Damien. La protection commence déjà à disparaître.
-Ça m’est égal, se résigna Phileas, je vais me battre pour mourir la conscience tranquille. C’est la seule chose qui compte pour un soldat d’honneur…
-Attends, le coupa Damien, je crois que tu n’auras pas besoin de jouer les héros. Regarde… »
Visiblement, les burnes se disputaient l’accès au couple humain, chacune des paires barrant le passage aux autres pour se réserver l’intégralité du repas. Le différent tourna au combat physique et les burnes se roulèrent au sol comme des écoliers se disputant un lot de billes.
« C’est le moment de filer! lança Phileas.
-Ces monstres font trembler le terre, précisa Damien, essayons de ne pas tomber comme des quilles. »
Le duo prit discrètement la poudre d’escampette. Trop occupées à s’entretuer, les burnes ne s’en aperçurent même pas.
Aveuglé par la chandelle qu’on exhibait devant ses yeux, Hercule frottait la bosse qu’un coup de matraque du nain gradé avait fait naître sur son crâne.
« Alors! Tu vas parler? beugla ce dernier en postillonnant.
-Je comprends rien à votre histoire de coffre, répondit Hercule, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise?
-Bien. A l’instar de tes semblables, tu es donc prêt à te faire torturer tous les jours plutôt que d’avouer la vérité. Bravo…
-Ce ne sont pas mes semblables, je suis chauve par accident je vous dis!
-Y a rien à en tirer, s’enflamma le nain, foutez-moi ça en chambre de torture.
-J’ai pas peur…
-On va voir si tu fais toujours le malin avec un merlouc dans le fion.
-C’est quoi?
-Un serpent coprophage. »
Phileas et Damien ne tardèrent pas à tomber sur une zone où poussaient des chrisenchantes. Ils en prirent une poignée qu’ils placèrent dans une sacoche et continuèrent à chercher Hercule.
« Le jeune merdaillon est tellement stupide, lança Phileas. Je n’aurais plus de faire-valoir s’il se faisait tuer, il faut le retrouver à tout prix.
-Tu es dur, rajouta Damien. Souviens-toi qu’il a délivré Diane tout seul.
-Ouais. Souviens-toi aussi qu’il a perdu l’amulette…
-Il l’a tout de même retrouvée.
-C’est moi qui l’ai rapportée au château.
-Au fait, pourquoi ne se la passe-t-il pas autour du cou? Il serait invincible.
-Je sais. C’était pourtant le souhait du roi, mais il a changé d’avis en voyant Hercule. Il offrira l’invulnérabilité à son futur gendre quand celui-ci aura fait ses preuves.
-C’est-à-dire?
-Pour ça, le roi a ses raisons que la raison ignore. C’est comme la passion des femmes pour les plantes vertes, ça reste un mystère…
-C’est juste. On se demande vraiment… Et d’abord ça ne sert à rien!
-Et puis ça attire les mouches.
-Et surtout ça se renverse et alors il faut ramasser la terre.
-C’est bon pour… pour les bonnes femmes! »
Les deux hommes partirent d’un grand rire et Phileas se dandina d’une façon nunuche en faisant semblant d’arroser quelque chose. Damien en eut les larmes aux yeux.
Debout dans la chambre des tortures, Hercule attendait les bras croisés en fixant la lucarne donnant sur l’extérieur. Le bourreau finit par arriver avec le reptile dans les mains.
« Tu sais ce qu’il va t’arriver? lança-t-il.
-J’en ai vu d’autres, répondit Hercule d’une voix tremblante.
-Tu n’es pas très convaincant. C’est la première fois que tu te fais torturer? »
Hercule ne répondit pas et fondit en larmes. Il se tourna vers le bourreau et tomba sur les genoux.
« La petite scène que voici est ridicule, commenta ce dernier, un peu de courage mon garçon. Tu vas simplement perdre connaissance chaque fois que tu iras à la celle pendant quelques mois.
-Pourquoi? pleura le guerrier.
-A cause du frottement des étrons sur les plaies.
-Je veux dire: pourquoi on me torture?
-Parce que tu fais partie du clan des chauves.
-C’est qui?
-Arrête tes conneries! T’as vu ta gueule? Tu ne vas pas non plus me dire que tu n’en fais pas partie!
-C’est un accident. J’ai des cheveux en vrai.
-Le Seigneur Noir a été volé par ton clan et nous sommes tous punis par votre faute, alors ne mens pas!
-Je vous jure que j’ai des cheveux, mais vous avez bien dit le Seigneur Noir?
-Lui-même. Nous avons tous été soldats dans son armée. Tu le sais aussi bien que moi.
-Bon sang, je vais lui casser la gueule!
-Au Seigneur Noir?
-Il veut renverser le roi, bon Dieu!
-Pour le moment, renverse-toi sur le ventre et arrête de blasphémer. »
Le prisonnier s’exécuta et le bourreau lui baissa slip et pantalon.
« Attendez! supplia Hercule, nous pourrions nous entendre!
-Tu rêves! répondit l’autre.
-Je peux maîtriser le Seigneur Noir et l’obliger à faire une enquête.
-Commence déjà par maîtriser ton angoisse, je te signale que ton sphincter s’exprime avec autant de véhémence que tes cordes vocales depuis tout à l’heure.
-C’est nerveux…
-Ça excite surtout le merlouc. »
Conscient qu’un repas l’attendait, le serpent se tortillait dans tous les sens en humant le gaz annonciateur de la délectation prochaine. C’est à ce moment qu’une terrible explosion fit trembler la grotte. Le bourreau se précipita hors de la pièce avec le reptile en maugréant:
« Tu ne pais rien pour attendre! Je vais voir ce qu’il se passe et je reviens m’occuper de toi! »
Hercule se releva et se cassa la gueule en voulant se rapprocher de la porte.
« Merde! Mes fringues! jura le prisonnier qui n’avait pas encore remis son pantalon. J’espère qu’on est venu me délivrer… »
Hercule ne croyait pas si bien dire. Phileas et Damien avaient retrouvé la petite culotte d’une courtisane du château tombée de la poche du guerrier devant l’entrée de la grotte. Le rapprochement avec leur camarade lubrique n’avait pas été très difficile à faire et il leur avait suffit de déclencher l’explosion d’une chauve-souris par un tour du sorcier pour se débarrasser des gardes plantés à l’entrée.
« C’est marrant, commenta Phileas, c’est quoi ce tour?
-Ça s’appelle la combustion spontanée, répondit Damien. La victime prend feu et anéantie ce qui se trouve à sa portée en explosant.
-Dommage pour la chauve-souris, elle avait une bonne tête…
-C’est la votre qui va tomber dans quelques instants! pesta un chef de troupe nain entouré de ses hommes.
-Tiens, fit le sorcier, voilà le comité d’accueil…
-On en laisse un en vie pour nous dire où se trouve Hercule ou on le cherche nous même? demanda Phileas.
-On le cherche nous même, répondit Damien. Bute-les tous.
-Héla! On se calme! s’affola le chef qui voyait le barbu brandir sa hache. On doit pouvoir s’arranger. Vous savez, on est petits, mais costauds. Il faut pas se jeter sur nous comme ça…
-C’est des menaces? demanda Phileas, amusé.
-C’est bon! Laisse tomber, s’impatienta Damien, en claquant des doigts, je viens de les changer en fourmis par mon geste. Tu n’as plus qu’à les écraser.
-Ah non! s’emporta le barbu. Pas d’accord! C’est trop facile! Ce qui est amusant, c’est de les entendre gémir quand on les écrabouille. Rends-leur leur aspect normal!
-On n’a pas le temps. Viens! »
Damien fit signe à Phileas de le suivre en se dirigeant vers un escalier en pierre. Le barbu bougonna quelques vocables incompréhensibles et suivit le magicien. Des cris d’épouvante alertèrent le duo que leur coéquipier était en mauvaise posture. Ils se précipitèrent vers la source du tumulte et découvrirent Hercule à plat ventre, l’arrière train à l’air, des sanglots longs ponctuant ses spasmes qui bredouillait:
« Bheu… J’ai peur du monsieur avec son gros serpent!
-Nous venons d’interrompre une séance de fétichisme extrême, se lamenta Phileas. »
Le détenu se retourna et insulta les deux autres en se relevant.
« Remets ton slip au lieu de dire des gros mots, conseilla Damien, tu pourrais tomber. »
Hercule s’écroula au sol, pesta et se rhabilla. Ses deux amis lui firent comprendre qu’ils ne voulaient en aucun cas savoir de quoi il s’agissait et qu’il faisait ce qu’il voulait de sa vie. Damien révéla au guerrier la cause de son enlèvement et celui-ci exigea qu’on lui rende ses cheveux sans quoi il pourrait en venir aux mains dans les plus brefs délais. Le magicien s’exécuta et les trois lascars retournèrent à l’entrée de la grotte où les fourmis leur barraient le passage. Une bonne dizaine d’entre elles fut écrasée et Damien, se souvenant de ce qu’il avait fait, revint sur ses pas pour rendre aux survivants leur aspect initial. Ce fut un festival de lamentations auxquelles nos héros ne prêtèrent aucune attention.