Épisode huit: Le gang des Licornes
Chapitre quatre: Le retour des hiboux
Un peu plus loin dans la forêt, le gang des Licornes était occupé à partager un butin en buvant de d’hydromel. Les bandits s’étaient réunis dans une petite clairière secrète et faisaient les comptes en riant fort grâce aux vertus bénéfiques de l’alcool.
« Bon, fit leur chef, écoutez-moi tous. Ce soir, nous allons détrousser un convoi qui… Albert, tu m’écoutes?
– J’aimerais bien, fit un gros moustachu qui s’appelait Albert, mais il faudrait que cet oiseau arrête de me regarder.
– Qu’est ce que tu racontes?
– Je parle de lui, compléta le type en désignant un Maître Hibou (souvenez-vous de l’épisode quatre) au plumage fétide et au regard meurtrier.
– Qui êtes-vous? demanda le chef des Licornes.
– Je suis votre perte » répondit la créature.
Le chef se tourna vers sa bande et des haussements d’épaules accompagnèrent d’importants gloussements très sonores qui firent s’envoler une famille de perdrix craintives. Là-dessus, le hibou se rua sur la horde des brigands et les roua de coups de becs meurtriers. Cinq d’entre eux perdirent la vie tandis que trois autres gisaient sur le sol à moitié morts. Le chef des Licornes réussit à prendre la poudre d’escampette avec une poignée d’hommes. D’autres hiboux arrivèrent à tire-d’aile. Ils avaient bien changés depuis la séance de peinture avec les Pipoils et leur rancune les avaient fait passé d’une peuplade de commerçants volatiles fort sympathiques à une véritable horde sanguinaire dont le mode de vie, les meurs et les préceptes avaient étaient totalement modifiés. Le chef des Licornes fuyait avec ses hommes.
« Bon sang! s’enflamma-t-il dans sa course. On m’avait parlé de créatures à plumes très puissantes vivant dans cette forêt. Je sais que seule une sphère nocturne peut les rendre inoffensifs. Il faut en trouver une et nous y réfugier le temps d’établir un plan.
– Tu n’as pas peur qu’il y ait des conséquences pour nous aussi? demanda son bras droit.
– Tais-toi et cours, on réfléchira une fois dans la sphère. »
« Par toutes les biquettes! Nous coulons! hurla le roi qui venait de recevoir une bassine d’eau froide en plein visage. Les femmes et les enfants d’abord!
– Du calme, le rassura Phileas en reposant l’ustensile dans la cuisine du sorcier. Tout va bien, vous êtes sur la terre ferme.
– Mais pourquoi m’as-tu jeté de l’eau sur la figure? Et pourquoi cet idiot d’Hercule rigole-t-il comme un bossu en me regardant?
– L’eau, c’était pour vous réveiller, Sire. Et pour Hercule, c’est votre histoire de petit poney qui l’amuse, je pense.
– Pardon?
– Vous parlez dans votre sommeil, Sire. Il était question dans votre récit d’une prairie fleurie et de petits poneys blancs à la crinière rose et aux yeux bleus.
– C’est vrai? s’indigna le roi, plus humilié que jamais.
– Non, répondit Phileas, mais c’est ce qu’on s’était promis de vous faire croire. »
N’en pouvant plus, Hercule dut sortir de la cabane pour aller prendre l’air et calmer sa crise de rire. Ernest se leva pour le rejoindre et on entendit un bruit impossible à identifier venant de l’extérieur. Le roi revint seul et demanda à Phileas ce qu’il s’était passé. Une fois informé sur les détails de l’incident du somnifère, le roi décréta qu’on avait assez perdu assez de temps comme ça et qu’il fallait capturer le gang des Licornes avant la nuit. Phileas lui expliqua que ça n’était pas aussi simple et qu’en tant que professionnel de la guerre il savait très bien de quoi il parlait. Ce à quoi le roi répondit que c’était lui le roi, que par conséquent c’était lui qui commandait et que si ça ne plaisait pas au guerrier roux, Philibert le vieux balayeur boiteux était tout disposé à lui céder sa place à leur retour au château.
« Je viens avec vous, lança Ted en chaussant ses bottes.
– Vous n’y pensez pas! répondit Ernest d’un air horrifié.
– Si si, j’y tiens. Un peu d’aventure me fera du bien. J’en ai marre de rester enfermé dans cette cabane fétide à trouver des remèdes bidons pour des ploucs illettrés qui ont simplement la migraine. »
La mort dans l’âme et devant l’insistance du vieux crapaud qui faisait tournoyer au-dessus de sa tête une épée fort tranchante qu’il semblait n’avoir pas manipulée depuis très longtemps, la fine équipe dut se résoudre à le laisser les accompagner.
« Allez, on s’organise! braillait le chef des hiboux en agitant frénétiquement les ailes. Nous avons été ridiculisés la dernière fois et notre ancien chef est mort par la faute de deux humains. Il faut donc punir tous les humains, c’est la loi.
– Ouais! crièrent à l’unisson les quelques quatre cent hiboux qui entouraient le beau parleur.
– Tiens, remarqua celui-ci en apercevant un coffre à moitié ouvert et rempli de pierres précieuses, ils ont oublié un beau trésor on dirait. Vous cinq, rajouta-t-il en désignant des hiboux plutôt musclés, vous restez ici à surveiller le butin, les autres, suivez-moi! »
Tous les oiseaux s’envolèrent et un brouhaha assourdissant de plumes qui s’agitent résonna dans la forêt.
« La guerre civile! s’affola le chef des Licornes. C’est la guerre civile!
– N’exagère pas non plus, commenta son bras droit, disons qu’il y a quelques conflits en ce moment sur le territoire entre nous, la population et les hiboux. Pas de quoi fouetter un chat.
– Des conflits entre personnes occupant le même territoire? Tu viens de donner en gros la définition de guerre civile, Philippe. Pour ce qui est du chat, mes parents m’en ont offert un quand j’étais petit et je le fouettais tous les soirs en cachette quand tout le monde dormait.
– Vraiment?
– Oui.
– Tu es méchant.
– Oui. »
Les deux bandits partirent d’un grand rire. Reprenant conscience de la situation, ils se calmèrent et évaluèrent qu’il valait mieux s’installer ailleurs au cas où les hiboux ne songent à se déplacer dans la forêt.
« Chef! hurla un bandit qui venait d’arriver en soufflant comme un phoque. Les deux hommes que vous avez renvoyés vers la clairière pour voir si les hiboux étaient partis sont rentrés et me confirment que cinq de ces monstres y montent la garde.
– Merde! jura le chef. J’espère au moins que cette rumeur de sphère nocturne est vraie.»
Debout en équilibre sur son cheval, Ted le crapaud avait toutes les peines du monde à ne pas tomber.
« Pourquoi ne vous asseyez-vous pas sur votre monture? demanda Hercule.
– Pour impressionner les gens. Cela fait longtemps que je ne suis pas sorti de chez moi. Je veux qu’on me remarque.
– Ne croyez-vous pas qu’il vaudrait mieux garder ça pour le retour? se risqua Phileas. Nous somme pressés et vous nous ralentissez avec vos prouesses. Sire, que faites-vous?
– Je l’imite, répondit le roi Ernest qui était lui aussi debout sur son cheval. Si quelqu’un doit être remarqué sur les routes d’Hyperborea, c’est bien moi. »
Ted toussa et leva son épée vers le ciel pour avoir l’air plus majestueux encore que le roi lui-même.
« Bon, fit le chef des hiboux, nous avons exterminé une centaine d’êtres humains. Il est temps de rentrer pour aujourd’hui.
– C’est dommage qu’on n’ait pas pu mettre la main sur ceux qui ont tué notre ancien chef, commenta un sous-fifre.
– En même temps ça m’arrange, répondit le nouveau chef. Sans eux, je ne serais pas à la place où je suis. Je leur dois quelque chose au fond. »
Tous les hiboux se regardèrent les uns les autres, ne sachant pas vraiment comment prendre la dernière remarque de leur supérieur. L’un d’eux s’y risqua timidement:
« Heu… Vous avez été désigné chef pour venger l’ancien chef en dirigeant l’armée qui retrouvera les meurtriers et les tuera, non?
– Si, répondit l’intéressé vexé comme un militaire surpris en train de lire un livre.
– Alors…
– Alors tais-toi, tu m’énerves. Pas moyen de ressentir la moindre gratitude envers qui que ce soit si je comprends bien. Et bien d’accord. Ils y passeront. Tu es content?
– Moi je dis ça, je ne dis rien. Mais la gratitude est un sentiment noble et nous sommes sans pitié. La noblesse nous est étrangère. Code civile des hiboux sanguinaire article 64.
– Pourtant le fait de regretter la disparition d’un proche et de vouloir le venger est animé par un sentiment noble, non?
– Heu… C’est quand même une vengeance à base de meurtres.
– Oui, mais c’est fait par amour pour l’ancien chef. C’est noble. »
Un brouhaha fantastique résonna dans la forêt. Tous les hiboux jacassaient entre eux plus déconcertés que jamais.
« Bon ça suffit! hurla le nouveau chef. On va tuer les deux types. On est rien que des méchants. Voilà, je ne veux plus entendre parler de cette histoire. C’est clair? »
Pour toute réponse les quatre-cent hiboux parlèrent encore plus fort entre eux et aucun ne semblait regarder le chef. Celui-ci se passa l’aile sur le visage et soupira longuement en songeant à tout ce qu’il aurait pu faire de sa journée s’il était né prince ou au moins simple seigneur.