Hyperborea: Le gang des Licornes (Le retour des hiboux)

Épisode huit: Le gang des Licornes

Chapitre quatre: Le retour des hiboux

Un peu plus loin dans la forêt, le gang des Licornes était occupé à partager un butin en buvant de d’hydromel. Les bandits s’étaient réunis dans une petite clairière secrète et faisaient les comptes en riant fort grâce aux vertus bénéfiques de l’alcool.
« Bon, fit leur chef, écoutez-moi tous. Ce soir, nous allons détrousser un convoi qui… Albert, tu m’écoutes?
– J’aimerais bien, fit un gros moustachu qui s’appelait Albert, mais il faudrait que cet oiseau arrête de me regarder.
– Qu’est ce que tu racontes?
– Je parle de lui, compléta le type en désignant un Maître Hibou (souvenez-vous de l’épisode quatre) au plumage fétide et au regard meurtrier.
– Qui êtes-vous? demanda le chef des Licornes.
– Je suis votre perte » répondit la créature.
Le chef se tourna vers sa bande et des haussements d’épaules accompagnèrent d’importants gloussements très sonores qui firent s’envoler une famille de perdrix craintives. Là-dessus, le hibou se rua sur la horde des brigands et les roua de coups de becs meurtriers. Cinq d’entre eux perdirent la vie tandis que trois autres gisaient sur le sol à moitié morts. Le chef des Licornes réussit à prendre la poudre d’escampette avec une poignée d’hommes. D’autres hiboux arrivèrent à tire-d’aile. Ils avaient bien changés depuis la séance de peinture avec les Pipoils et leur rancune les avaient fait passé d’une peuplade de commerçants volatiles fort sympathiques à une véritable horde sanguinaire dont le mode de vie, les meurs et les préceptes avaient étaient totalement modifiés. Le chef des Licornes fuyait avec ses hommes.
« Bon sang! s’enflamma-t-il dans sa course. On m’avait parlé de créatures à plumes très puissantes vivant dans cette forêt. Je sais que seule une sphère nocturne peut les rendre inoffensifs. Il faut en trouver une et nous y réfugier le temps d’établir un plan.
– Tu n’as pas peur qu’il y ait des conséquences pour nous aussi? demanda son bras droit.
– Tais-toi et cours, on réfléchira une fois dans la sphère. »

« Par toutes les biquettes! Nous coulons! hurla le roi qui venait de recevoir une bassine d’eau froide en plein visage. Les femmes et les enfants d’abord!
– Du calme, le rassura Phileas en reposant l’ustensile dans la cuisine du sorcier. Tout va bien, vous êtes sur la terre ferme.
– Mais pourquoi m’as-tu jeté de l’eau sur la figure? Et pourquoi cet idiot d’Hercule rigole-t-il comme un bossu en me regardant?
– L’eau, c’était pour vous réveiller, Sire. Et pour Hercule, c’est votre histoire de petit poney qui l’amuse, je pense.
– Pardon?
– Vous parlez dans votre sommeil, Sire. Il était question dans votre récit d’une prairie fleurie et de petits poneys blancs à la crinière rose et aux yeux bleus.
– C’est vrai? s’indigna le roi, plus humilié que jamais.
– Non, répondit Phileas, mais c’est ce qu’on s’était promis de vous faire croire. »
N’en pouvant plus, Hercule dut sortir de la cabane pour aller prendre l’air et calmer sa crise de rire. Ernest se leva pour le rejoindre et on entendit un bruit impossible à identifier venant de l’extérieur. Le roi revint seul et demanda à Phileas ce qu’il s’était passé. Une fois informé sur les détails de l’incident du somnifère, le roi décréta qu’on avait assez perdu assez de temps comme ça et qu’il fallait capturer le gang des Licornes avant la nuit. Phileas lui expliqua que ça n’était pas aussi simple et qu’en tant que professionnel de la guerre il savait très bien de quoi il parlait. Ce à quoi le roi répondit que c’était lui le roi, que par conséquent c’était lui qui commandait et que si ça ne plaisait pas au guerrier roux, Philibert le vieux balayeur boiteux était tout disposé à lui céder sa place à leur retour au château.
« Je viens avec vous, lança Ted en chaussant ses bottes.
– Vous n’y pensez pas! répondit Ernest d’un air horrifié.
– Si si, j’y tiens. Un peu d’aventure me fera du bien. J’en ai marre de rester enfermé dans cette cabane fétide à trouver des remèdes bidons pour des ploucs illettrés qui ont simplement la migraine. »
La mort dans l’âme et devant l’insistance du vieux crapaud qui faisait tournoyer au-dessus de sa tête une épée fort tranchante qu’il semblait n’avoir pas manipulée depuis très longtemps, la fine équipe dut se résoudre à le laisser les accompagner.

« Allez, on s’organise! braillait le chef des hiboux en agitant frénétiquement les ailes. Nous avons été ridiculisés la dernière fois et notre ancien chef est mort par la faute de deux humains. Il faut donc punir tous les humains, c’est la loi.
– Ouais! crièrent à l’unisson les quelques quatre cent hiboux qui entouraient le beau parleur.
– Tiens, remarqua celui-ci en apercevant un coffre à moitié ouvert et rempli de pierres précieuses, ils ont oublié un beau trésor on dirait. Vous cinq, rajouta-t-il en désignant des hiboux plutôt musclés, vous restez ici à surveiller le butin, les autres, suivez-moi! »
Tous les oiseaux s’envolèrent et un brouhaha assourdissant de plumes qui s’agitent résonna dans la forêt.

« La guerre civile! s’affola le chef des Licornes. C’est la guerre civile!
– N’exagère pas non plus, commenta son bras droit, disons qu’il y a quelques conflits en ce moment sur le territoire entre nous, la population et les hiboux. Pas de quoi fouetter un chat.
– Des conflits entre personnes occupant le même territoire? Tu viens de donner en gros la définition de guerre civile, Philippe. Pour ce qui est du chat, mes parents m’en ont offert un quand j’étais petit et je le fouettais tous les soirs en cachette quand tout le monde dormait.
– Vraiment?
– Oui.
– Tu es méchant.
– Oui. »
Les deux bandits partirent d’un grand rire. Reprenant conscience de la situation, ils se calmèrent et évaluèrent qu’il valait mieux s’installer ailleurs au cas où les hiboux ne songent à se déplacer dans la forêt.
« Chef! hurla un bandit qui venait d’arriver en soufflant comme un phoque. Les deux hommes que vous avez renvoyés vers la clairière pour voir si les hiboux étaient partis sont rentrés et me confirment que cinq de ces monstres y montent la garde.
– Merde! jura le chef. J’espère au moins que cette rumeur de sphère nocturne est vraie.»

Debout en équilibre sur son cheval, Ted le crapaud avait toutes les peines du monde à ne pas tomber.
« Pourquoi ne vous asseyez-vous pas sur votre monture? demanda Hercule.
– Pour impressionner les gens. Cela fait longtemps que je ne suis pas sorti de chez moi. Je veux qu’on me remarque.
– Ne croyez-vous pas qu’il vaudrait mieux garder ça pour le retour? se risqua Phileas. Nous somme pressés et vous nous ralentissez avec vos prouesses. Sire, que faites-vous?
– Je l’imite, répondit le roi Ernest qui était lui aussi debout sur son cheval. Si quelqu’un doit être remarqué sur les routes d’Hyperborea, c’est bien moi. »
Ted toussa et leva son épée vers le ciel pour avoir l’air plus majestueux encore que le roi lui-même.

« Bon, fit le chef des hiboux, nous avons exterminé une centaine d’êtres humains. Il est temps de rentrer pour aujourd’hui.
– C’est dommage qu’on n’ait pas pu mettre la main sur ceux qui ont tué notre ancien chef, commenta un sous-fifre.
– En même temps ça m’arrange, répondit le nouveau chef. Sans eux, je ne serais pas à la place où je suis. Je leur dois quelque chose au fond. »
Tous les hiboux se regardèrent les uns les autres, ne sachant pas vraiment comment prendre la dernière remarque de leur supérieur. L’un d’eux s’y risqua timidement:
« Heu… Vous avez été désigné chef pour venger l’ancien chef en dirigeant l’armée qui retrouvera les meurtriers et les tuera, non?
– Si, répondit l’intéressé vexé comme un militaire surpris en train de lire un livre.
– Alors…
– Alors tais-toi, tu m’énerves. Pas moyen de ressentir la moindre gratitude envers qui que ce soit si je comprends bien. Et bien d’accord. Ils y passeront. Tu es content?
– Moi je dis ça, je ne dis rien. Mais la gratitude est un sentiment noble et nous sommes sans pitié. La noblesse nous est étrangère. Code civile des hiboux sanguinaire article 64.
– Pourtant le fait de regretter la disparition d’un proche et de vouloir le venger est animé par un sentiment noble, non?
– Heu… C’est quand même une vengeance à base de meurtres.
– Oui, mais c’est fait par amour pour l’ancien chef. C’est noble. »
Un brouhaha fantastique résonna dans la forêt. Tous les hiboux jacassaient entre eux plus déconcertés que jamais.
« Bon ça suffit! hurla le nouveau chef. On va tuer les deux types. On est rien que des méchants. Voilà, je ne veux plus entendre parler de cette histoire. C’est clair? »
Pour toute réponse les quatre-cent hiboux parlèrent encore plus fort entre eux et aucun ne semblait regarder le chef. Celui-ci se passa l’aile sur le visage et soupira longuement en songeant à tout ce qu’il aurait pu faire de sa journée s’il était né prince ou au moins simple seigneur.

Hyperborea: Le gang des Licornes (Le phénomène Ted)

Épisode huit: Le gang des Licornes

Chapitre trois : Le phénomène Ted

« Mais si, affirma Phileas d’une voix ferme, c’est ici qu’habite Ted le crapaud.
– Mais pourquoi on doit le voir déjà ? demanda Hercule en s’arrêtant de marcher.
– Je t’ai déjà dit qu’il connaissait un remède pour tous les poisons. Je te signale qu’il y a tes empreintes sur la gourde qu’Ernest a portée à ses lèvres, pour les chiens policiers, ce sera du gâteau de te retrouver si on laisse mourir le roi. Les chevaux sont attachés à un tronc d’arbre avec un malade de valeur dessus, c’est dangereux, il faut se dépêcher. Allez suis-moi ! »
Phileas prit son camarade par le poignet et l’entraîna devant une petite cabane recouverte de vieilles branches austères.
« Tu as vu comme cette maison est petite ? s’inquiéta Hercule.
– Et le toit est tout en feuillage, précisa le guerrier roux, c’est sympa. Allez frappe !
– Pourquoi moi ?
– Parce que c’est moi le plus fort et donc c’est moi qui décide.
– Heu… ça reste à prouver, s’indigna Hercule. »
Les deux amis commencèrent à se fritter au sol quand la porte de la cabane s’ouvrit lentement.
« Arrêtez de vous donner des coups, relevez-vous, et dites-moi ce que vous voulez, ordonna un vieux crapaud en costume de mousquetaire.
– Votre bâtisse est très charmante, expliqua Hercule en se remettant sur pied, mais mon camarde prétendait que le ménage n’y est jamais fait, j’ai dû le corriger pour son manque de respect envers un magicien de votre rang.
– Je ne suis pas un magicien, précisa Ted, je suis un sorcier. Les magiciens font de la magie blanche et moi je fais de la magie noire.
– Quelle est la différence ? demanda Hercule en retenant un cri car Phileas venait de lui marcher sur le pied.
– La couleur », répondit le crapaud en leur faisant signe de le suivre.

Les deux amis découvrirent un intérieur singulier où une espèce de mousse odoriférante faisait office de cloison entre les pièces.
« C’est efficace contre le bruit? demanda Hercule en désignant une paroi.
– Non, répondit Ted, mais je vis seul et je ne reçois pas, donc je ne suis pas gêné par le bruit.
– Alors pourquoi ne pas avoir mis de cloison ordinaire?
– Car celle-ci sent bon. C’est une odeur aux vertus fantastiques qui apaise et qui met tout le monde d’accord. Qu’en pensez-vous?
– Je… je suis d’accord, bredouilla Hercule.
– Ha! Ha! Je plaisantais, reprit l’autre, c’est parfumé à la rose et c’est tout. Mais c’est idéal pour ma langue quand j’ai des fourmis, comme en ce moment par exemple. »
Le sorcier déroula sa langue de trois mètres et l’agrippa à l’une des parois en mousse. Sa satisfaction faisait plaisir à voir, mais au bout de cinq minutes, Phileas toussa bruyamment car le roi était en train de mourir dehors sur le dos de son cheval et il ne fallait pas trop tarder à agir. Le guerrier roux l’expliqua d’ailleurs au sorcier qui rentra sa langue en bouche avec dépit et s’approcha d’une collection de fioles contenant chacune une substance colorée.
« Vous avez de la chance, confia Ted, à cette heure là, je suis censé être à mon cours d’escrime, mais mon professeur est malade.
– Qu’est ce qu’il a? demanda Hercule.
– Je l’ai empoisonné.
– Volontairement? demanda Phileas.
– Non. Je voulais le guérir d’une douleur au foie, mais je me suis trompé de remède.
-Ha! Ha! s’extasia Hercule, vous plaisantez encore, n’est ce pas?
– Non. »
Phileas fit des grimaces à Hercule pour lui faire comprendre qu’il valait peut-être mieux s’en aller, mais le gringalet crut que son coéquipier cherchait à le distraire et se mit à rire en faisant la même chose.
« Quand vous aurez fini de tirer la langue pour m’imiter, fit Ted, vous m’indiquerez peut-être quel poison a absorbé le roi.
– C’est pas juste, c’est lui qui a commencé à me faire des clins d’œil! fit Hercule en montrant son camarade du doigt. Sinon c’est ça qui a provoqué le coma de roi. »
Hercule tendit sa gourde vide au crapaud qui la contempla d’un air horrifié en jurant comme un charretier.
« C’est mal barré? demanda Phileas.
– C’est même pire! répondit Ted.
– Alors tout est foutu? s’affolèrent les visiteurs à l’unisson.
– Tout est foutu, confirma l’étrange sorcier en regardant tristement ses invités qui s’écroulèrent de déception sur une petite banquette.
– On ne peut vraiment rien faire? tenta Hercule animé d’un dernier espoir.
– La seule chose à faire serait que vous lisiez pour moi ce qu’il y a d’inscrit sur l’étiquette car je crois que je suis devenu complètement astigmate, il va falloir que je porte des lunettes. »
Phileas fut tenté de le gifler, mais il prit sur lui et se leva pour lire l’étiquette à voix haute. Ted se mit à rire bêtement. Phileas respira profondément pour retenir ses coups et le sorcier lui confia que le roi venait d’absorber un somnifère.

Hyperborea: Le gang des Licornes (La prophétie)

Épisode huit: Le gang des Licornes

Chapitre deux : La prophétie

« Père vous m’avez fait peur en faisant croire à mon fiancé que vous alliez l’accompagner, se plaignit la princesse Diane. Je suis bien contente que vous restiez au château. J’ai horreur de vous savoir en danger. S’il vous arrivait malheur, j’aurais des tas de responsabilités à assumer, je commencerais par épouser Hercule qui deviendrait votre successeur. Quelle perspective terrifiante!
– Mais j’y pense, ce serait amusant, répondit le roi.
– Comment?
– Diane, annonce mon départ au chambellan, je vais faire sceller mon cheval.
– Vous n’êtes pas sérieux?
– Jamais très longtemps, c’est nerveux, mais je vais devoir prendre sur moi pour dompter mon canasson car honnêtement, j’ai un peu perdu la main. »

« Le groupe des Licornes? s’étonna le vieillard en se torchant les lèvres de sa main ridée aux ongles noirs.
– Tout à fait, répondit Phileas en coupant un morceau de pain.
– Ils sont faciles à reconnaître, compléta Hercule après avoir roté à gorge déployée, ils ont une corne sur le front. »
Le petit groupe s’était assis dans la neige pour faire une collation et en profitait pour faire une mise au point.
« Il me semble en avoir vu un, dit le vieillard avant de mordre dans une pomme.
– Voilà qui est intéressant, intervint Phileas. Où était-ce?
– Dans ton derrière, répondit Hercule avant de recevoir une manchette prodigieuse, vous savez, cette prise de karaté qu’on exécute avec le revers de la main et qui défigure la victime.
– C’était il y a longtemps? demanda Phileas en s’essuyant sur ses vêtements, la peau d’Hercule n’étant jamais bien propre.
– C’était ici juste avant que vous n’arriviez, dit le vieillard en buvant une lampée d’eau fraîche dans sa gourde en peau de caribou.
– Quoi? firent en chœur les deux guerriers. Mais ils ne doivent pas être loin!
– Quand vous avez frappé celui que vous nommez Hercule, j’ai vu une carriole partir au loin. Probablement les voleurs. Moi qui pensais que c’était vous!
– Et moi qui pensais que vous vouliez nous détrousser, répondit Phileas.
– Moi, dit Hercule, je pensais ne jamais voir de lézard bleu par ici, c’est le froid qui les attire, regardez, je vais lui pisser dessus! »
Sous le regard consterné des deux autres, l’élu de la prophétie se leva, ouvrit sa braguette et sortit son sexe qu’il pointa vers un drôle de reptile.
« Il est trop loin, s’emporta Hercule, je vais sauter pour l’avoir. »
Le guerrier mit son plan à exécution et effectua une série de bons sur place en fixant l’animal qu’il parvint à atteindre non sans avoir aspergé ses camarades d’un jet d’urine fumante à la saveur épouvantable.
Phileas avait déjà foncé la tête la première dans le ventre d’Hercule qui gisait sur le sol et continuait à le rouer de coups de pied dans les flancs en le traitant de tous les noms quand le vieillard poussa un terrible gémissement.
« Des vols seront commis, un lézard bleu marchera sur la neige et la guerre civile éclatera dans la contrée! brailla-t-il au bord de l’hystérie. C’est la prophétie qui se réalise! Nous sommes foutus! »

« Bon, se dit le roi, ils ont dû partir de ce côté, je vais aller par là, je le sens bien. Qu’est-ce que tu en dis? demanda-t-il à l’adresse de sa monture. Évidemment, tu ne dis rien, ce serait trop simple que tu répondes à mes questions! »
Le cheval releva mollement la tête et fixa le roi en mâchant une touffe d’herbe avant de se remettre au pas.
« Hé ! Tu pourrais au moins trotter pour voir! » s’impatienta le roi.
L’animal partit alors au galop au risque de désarçonner son passager.
« Doucement, fit celui-ci, je n’en demandais pas tant! »
Le canasson s’arrêta brusquement devant un champ de carottes qu’il avait aperçu et se mit à manger sans prêter attention aux remontrances du royal cavalier.
«Ben dites donc, faut pas vous gêner! s’emporta un vieux jardinier aux vêtements crottés et au faciès farouche.
– Vous ne savez pas qui je suis! s’indigna le roi.
– Vous êtes celui qui me fait perdre mes légumes.
– Vous n’avez pas l’air de vouloir d’avantage que mon cheval puisse continuer à se repaître que lui-même n’a l’air de vouloir arrêter.
– Arrêtez vos salades et rendez-moi ma carotte.
– Vous avez de l’humour visiblement. Je pense que pour ça je vais sans doute vous épargner.
– C’est le monde à l’envers! Urso! Attaque!»
Aussitôt, un chien de la marque pitbull se rua sur le roi qui perdit l’équilibre et tomba dans le champ sous le rire sonore du jardinier.

« Quelle est cette histoire de prophétie? » demanda Phileas au vieillard qui, les yeux révulsés, marmonnait quelques vocables incompréhensibles en remuant convulsivement les mains.
Le guerrier roux gifla violemment le fanatique pour le forcer à reprendre ses esprits. Ce dernier tomba à la renverse et demanda à poser sa tête sur les genoux de Phileas afin d’être bien installé pour tout raconter tout bien comme il faut.
« Quand j’étais petit, on racontait que la guerre civile éclaterait quand un lézard bleu ramperait dans la contrée après une série de vols.
– Je n’ai jamais entendu parler de ça, s’étonna Phileas.
– C’est parce que nous ne sommes pas de la même région. Vous venez du château du roi et moi du nord de la contrée.
– Tout de même, cette histoire est bien étrange!
– Oh, mais fermez-là! Vous avez une sale tête, je n’ai pas envie de vous raconter d’où vient cette histoire finalement.
– Pardon?
– Excusez-moi, je retire ce que j’ai dis, mais gardez-moi sur vos genoux! C’est si confortable!
– Bien. Vous êtes spécial, mais je ferme les yeux sur votre sale remarque.
– Bon. Donc la légende dit aussi que c’est un guerrier roux qui déclenchera la guerre civile dans la contrée.
– Pourquoi me regardez-vous comme ça?
– Pour rien. Écoutez, je vais me lever et rentrer chez moi.
– Mais revenez! Nous devions vous aider à trouver les voleurs!
– Non, ça ira comme ça. Merci! » faisait dans le lointain la voix du vieux qui s’enfuyait à toutes jambes.

A quelques mètres de là, l’élu de la prophétie revenait à lui pour la seconde fois. Il se tenait le ventre de douleur quand il aperçut son coéquipier à poil roux dont l’expression perplexe l’inquiétait au plus haut point.
« Qu’est-ce qui s’est passé? demanda Hercule.
– Rien, répondit Phileas.
– Mais tu en fais une tête! Tu me caches quelque chose! Et d’abord où est passé le vieux débris?
– Si c’est de moi dont tu parles, je suis là! lança le roi furieux.
– Sire! lancèrent les deux guerriers à l’unisson.
– Et oui. Plus en forme que jamais.
– Mais qu’est-ce que vous fou… qu’est ce que vous faites ici? demanda Phileas, contenant sa colère à grand peine.
– J’ai décidé de vous rejoindre. J’ai eu une petite altercation avec un gros chien, mais je m’en suis tiré et j’ai retrouvé votre trace. Je peux maintenant vous accompagner dans votre mission.
– Je croyais que c’était une plaisanterie, s’étonna Hercule.
– Plus maintenant, répondit le roi en sautant de cheval. Il s’étala de tout son long.
– Sire! »
Hercule et Phileas s’élancèrent à son secours, mais le roi Ernest fit non de la main et tenta de se relever seul. Il échoua lamentablement et retomba comme une crotte. A la troisième tentative il parvint à se remettre sur pied et demanda un petit remontant. Les deux guerriers se regardèrent avec surprise.
« Mais nous n’avons pas d’alcool, expliqua Hercule.
– Ne dis donc pas de sottise et donne-moi plutôt cette gourde veux-tu ? demanda le roi en désignant une petite bouteille remplie de poison qui dépassait de la besace d’Hercule.
– Mais Sire, s’insurgea le jeune guerrier, c’est pour combattre l’ennemi, je ne l’ai pas encore essayé, mais je crois que cette bouteille contient un liquide puissant qui…
– Tais-toi donc, c’est justement d’un alcool fort dont j’ai besoin. Allez ne fais pas de manière, je ne suis pas une lopette, moi. »
Le roi Ernest s’empara lui-même de la petite gourde à laquelle il but goulûment sous le regard sceptique d’Hercule qui, vexé par la désobligeante remarque de son souverain, se garda bien de l’empêcher de finir le restant de venin de crotale mélangé à de la bave toxique d’ours à palme d’or au goût pourtant si plaisant. La réaction ne se fit pas attendre. Une minute plus tard, le roi avait perdu connaissance et Hercule fit semblant de n’avoir rien vu. Son coéquipier le regarda d’un air atterré pendant un bon moment avant de prendre la parole.
« Hercule ! grogna Phileas.
– Quoi? fit l’autre.
– Le roi…
– Quoi le roi?
– Il se meurt.
– Mais non, il dort.
– Il boit du poison et il s’écroule au sol. Tu ne trouves pas ça bizarre ?
– Peut-être le poison n’a-t-il aucun effet sur lui et peut-être fait-il simplement une sieste digestive. Il vaudrait mieux le laisser dormir là tranquillement et le rejoindre au château après la mission, tu ne crois pas ?
– Je crois surtout que tu es trop paresseux pour t’occuper de lui. C’est désolant.
– Mais non, c’est juste que…
– Que rien du tout ! » conclut Phileas en giflant son camarade. Après quoi il prit le roi sur son épaule et le plaça sur sa monture.

A quelques kilomètres de là, le vieux bonhomme qui avait prit la fuite s’était arrêté derrière un buisson pour faire caca et si cette phrase vous dérange, vous n’avez qu’à lire autre chose. Hyperborea n’est pas un documentaire historique, mais plutôt une mise en forme littéraire de la vie de personnages idiots qui passent leur temps à dire des bêtises, à manger et à faire caca. Merde ! (N.D.A.)
Le vieillard fut arrêté dans son élan par une main moite qui venait de se poser sur son épaule.
« Quelles sont ces manières ? s’insurgea-t-il en se retournant brusquement.
– Continue ta crotte, le rassura un drôle d’individu avec une corne sur le front. Nous souhaiterions simplement repartir avec tes bottes en cuir et ta sacoche. Termine d’abord ce que tu fais. Nous avons tout notre temps. »
Le vieux débris partit à quatre pattes droit devant lui sans prendre le temps de remettre son pantalon en place. Un autre individu le neutralisa par les pieds et tira d’un coup sec pour s’emparer des bottes en cuir tandis que le premier ramassait paisiblement la sacoche restée entreposée sur le sol. Abasourdi, le vieillard se redressa et détala pieds et cul nus aussi vite qu’il le put à travers la campagne et sa vitesse fut telle qu’une famille entière d’écureuils en eut la nausée pour le restant de la journée. Les jambes du vieillard avalèrent l’espace et annulèrent la distance. Il disparut au loin et on ne le revit jamais plus et voilà pour lui.

Hyperborea: Le gang des Licornes (Le rubis appétissant)

Épisode huit: Le gang des Licornes

Résumé de l’épisode précédent: Les habitants du château ont tous été malades. Ils marchaient sur les mains en tirant la langue. De son côté, Hercule a créé un monstre avec du caca et le monstre a explosé. Du coup, le château est tout sale.

Chapitre un: Le rubis appétissant

« Bon, il va falloir trouver une solution rapidement, s’impatienta Phileas, car je me vois mal rester en équilibre comme ça plus longtemps.
– Patience, répondit Hercule en resserrant la corde qui entourait le corps de son coéquipier et qui commençait surtout à se défaire, je pense qu’il n’y en a plus que pour une heure ou deux. Ensuite, les Espanodrilles iront se coucher.
– Mais pourquoi le roi ne met-t-il pas un véritable épouvantail dans son champ de coquelicot au pollen d’or ?
– On en a déjà parlé, tu es bien plus dissuasif attaché comme ça sur un poteau en bois et ces créatures ne feraient de toute façon qu’une bouchée d’un vieux mannequin de paille. En revanche, elles ont horreur de ta voix écœurante de vieil ours enroué. »
Le guerrier roux maudit ses liens qui l’empêchaient de botter les fesses du gringalet et prit son mal en patience.

Le soir tomba et avec lui les premiers flocons de neige de l’année. Le roi demanda à voir ses deux meilleurs guerriers après le souper pour leur parler d’un fléau abattu depuis peu sur la contrée. On pouvait dire que la machine était déjà lancée pour une nouvelle aventure pleine de peps et de rebondissements.

« Mes enfants bonsoir, annonça le roi en grattant la gorge de sa fille qui se bouchait le nez à cause d’une forte odeur de tabac imprégnée dans les vêtement du vieux bonhomme. Si je vous ai fait interrompre votre partie de cartes, c’est pour vous parler du groupe des Licornes, vous voyez de quoi je parle ?
– Bien entendu, répondit Phileas, les Licornes sont des bandits de grand chemin qui portent un bandeau autour du crâne avec une corne en bois au niveau du front. Ils ont une horrible réputation et sont responsables des plus grands méfaits de toute la contrée. On dit que c’est leur chef qui a donné l’idée aux enfants d’Hyperborea de lécher la confiture sur les tartines pour ensuite jeter le pain sur le sol. Une véritable ordure !
– Tout à fait, reprit le roi. Hercule tu n’as pas l’air convaincu. Tu préférais sans doute jouer aux cartes ? Pourrais-tu faire semblant de m’écouter ?
– Je veux bien, répondit Hercule, mais j’avais quatre as dans mon jeu, avouez que la situation est un peu embarrassante.
– Diane mon petit, susurra le roi à l’oreille de sa fille, tu seras gentille de priver ce malotru de sexe pendant une bonne semaine.
– Mais, père, vous me privez aussi puisque nous sommes fiancés ! »
Le roi ne répondit rien et fronça le sourcil en fixant un garde à la carrure stimulante. Comprenant le message, sa fille frappa dans ses mains et demanda à l’essayer sur-le-champ. Le roi lui ordonna d’attendre qu’il ait fini de parler et reprit son discours.

« Vous partirez demain à la première heure. Je pense qu’il n’y a rien à ajouter. Ah si, je viens avec vous.
– C’est une plaisanterie ? demanda Hercule horrifié à l’idée d’être ralenti dans une mission déjà fort pénible par la présence d’un vieillard impotent.
– Oui, répondit le roi en souriant, j’adore voir ta tête quand tu es contrarié ! »
Après quoi il frappa dans ses mains et des serveuses en petite tenue arrivèrent au pas de course avec un plateau de pâtisseries grasses et sucrées qui entretiennent la bouée autour du ventre.

Le lendemain matin, nos héros parcouraient la contrée emmitouflés sous d’épaisses couches de peau de bête à longs poils.
« Tu crois qu’on va survivre ? demanda Hercule.
– Commence déjà par ne plus avaler les flocons de neige qui te passent devant le nez, répondit Phileas.
– Mais c’est amusant !
– C’est surtout idéal pour attraper une bonne pneumonie.
– Phileas, c’est quoi ce vieux vêtement sur le sol? »
Le barbu se pencha sur un chandail d’apparence miteuse qu’il ramassa et l’approcha de son visage.

« Hum… ça sent l’alcool bon marché, marmonna-t-il, sûrement un homme du voyage. Pas une seconde à perdre !
– Attends ! s’interposa Hercule qui voyait son camarade rouler le vêtement en boule pour le jeter au loin avec dégoût. Tu n’as rien remarqué ?
– Si, ça sent l’alcool, c’est même moi qui te l’ai dit banane !
– Mais non, je parle de ça… »

Hercule lui prit le chandail des mains et le déplia pour en exhiber un rubis aux mille éclats cousu sur la poitrine. Phileas ouvrit de grands yeux en apercevant le bijou rouge et poussa un petit cri quand son coéquipier y passa sa langue avec vigueur.

« Mais qu’est ce que tu fous ? s’écria-t-il. Tu es malade ?
– Ben quoi ? Il y a un bonbon à la fraise incrusté sur le devant, je le suce. C’est normal, non?
– Non.
– Tu trouves que c’est sale ? Tu veux que j’aille le laver ?
– Non.
– C’est quoi le problème ? Tu le voulais ? Attends… C’est bien un bonbon à la fraise n’est ce pas ?
– Non.
– Ah ! Hem ! Je vois ! Je me disais aussi que c’était un peu fade. Hé ! Hé !… Voilà, voilà, tout s’explique… Heu… Tu dois penser que je suis complètement idiot.
– Oui.
– Tu as envie de me frapper ?
– Oui.
– Tu vas le faire ?
– Oui. »

Un bruit terrible de mâchoire fracassée résonna dans toute la contrée et un vieux monsieur à forte haleine avec du jaune d’œuf dans la barbe eut toutes les peines du monde à relever le pauvre Hercule qui n’arrivait même plus à ouvrir les yeux.

« Qui êtes-vous ? demanda Phileas.
– Un vieillard choqué par vos manières, répondit l’autre. Pourquoi l’avez-vous frappé ?
– Il est bête.
– Vraiment ?
– C’est parce que j’ai voulu manger un bijou, expliqua Hercule encore sonné en rejoignant son coéquipier.
– Effectivement, commenta le vieux, je vous admire de l’avoir laissé en vie. Pour ma part, je l’aurai supprimé sans chercher à comprendre.
– Ha ! reprit Phileas. Mais sans vouloir vous vexer, vu votre âge, comment auriez-vous fait ?
– Comme ceci. » expliqua le drôle de vieillard en exhibant un, glaive qu’il venait de sortir de sous sa barbe et qu’il pointa sur les deux guerriers. Il les obligea à se mettre à genoux et donna quelques coups dans le vide pour impressionner ses prisonniers. Phileas en profita pour lui foutre un coup de boule entre les deux yeux.
« Qu’est ce qu’il voulait ? demanda Hercule en s’essuyant les pieds sur l’échine du vieux débris.
– Probablement nous détrousser, répondit Phileas.
– Pour ce qu’on a de précieux…
– Il y a toujours le vêtement avec le bijou que tu voulais manger.
– Idiot!
– C’est toi l’idiot puisque tu voulais le manger.
– Oh ça va!
– Moi oui, mais toi non puisque tu voulais manger un bijou.
– Arrête voyons! C’est crétin maintenant.
– D’accord, mais il faudrait que tu arrêtes aussi de vouloir manger des bijoux car c’est encore bien plus crétin.
– Quand vous aurez fini de vous disputer, vous m’aiderez peut-être à me relever? demanda le vieillard qui revenait à lui en se frottant le crâne.
– Mais qui êtes-vous? demanda Phileas. Pourquoi nous avoir menacés?
– Ne faites pas les idiots, répondit le vieux. Vous savez très bien que le vêtement que vous tenez à la main est le mien. J’ai tout de suite compris en le voyant que vous étiez les voleurs qui ont tout saccagé chez moi cette nuit. Je vous préviens, je ferai tout pour le récupérer. Il y a un bijou de famille cousu sur le dessus qui m’est très précieux.
– Mais c’est pas nous! intervint Hercule. On l’a ramassé par terre.
– A d’autres, ne me racontez pas d’histoire!
– Mon camarade dit vrai, rajouta Phileas. Pour vous prouver notre bonne foi, nous allons vous aider à retrouver les voleurs. Nous sommes prêts à vous offrir notre temps.
– C’est cool! dit le vieux en tirant la langue et en laissant pendre ses mains sous son menton comme un chien qui fait le beau. J’ai complètement changé d’avis à votre sujet. Merci de me consacrer votre précieux temps, vous êtes chics!
– Ouais, ça change rien, rajouta Hercule, on était ici pour retrouver des voleurs de toute façon.
– Ta gueule! » coupa Phileas qui n’aimait être contredit.
Hercule ne répondit rien, mais glissa la main discrètement dans son slip et se gratta l’anus de l’index après quoi il passa son doigt sur l’épaule de Phileas en expliquant que celui-ci avait des pellicules.

Hyperborea: Une étrange maladie (Jusqu’au cou)

Épisode sept: Une étrange maladie

Chapitre quatre : Jusqu’au cou

La créature déambulait dans les couloirs du château sous le regard terrorisé des occupants qui ne tardèrent pas à donner l’alerte. Les quelques gardes qui n’étaient pas sous l’emprise de la chattapoux arrivèrent sur place et s’étonnèrent de voir la plupart de leurs congénères affalés sur le sol. Ils avaient au final deux problèmes à régler en même temps : le monstre et la maladie. Dépassés par les évènements, certains gardes se croyant côté falaise se jetaient par la fenêtre pour en finir, mais ils se trouvaient côté cour et atterrissaient sur la foule grandissante qui faisait la queue devant le puits où Damien se donnait en spectacle. Ils se relevaient indemnes non sans avoir assommé quelques vieillard et retournaient à leur poste en haussant les épaules.

« Bon sang, constata la princesse Diane, mais ils sont tous à enfermer dans ce château ! Yvette je vous laisse nettoyer, je dois parler à mon père. »
Scandalisée, la jeune fille observait le roi qui marchait sur les mains en tirant la langue. Sceptique, elle repensa aux fioles qu’elle avait trouvées tantôt et exhiba l’une d’elles en menaçant le vieil homme de lui faire boire le contenu.
« Père, vous voyez cette petite bouteille ? Si vous continuez à faire le guignol, je vous l’administre sans somation. Qui sait ce qui se passera ? Peut-être vous changerez-vous en éléphant de mer, ou bien en une vieille grappe de raisins noirs… »
Totalement inconscient, Ernest continuait sa farandole, aussi sa fille mit-elle son projet à exécution. Hors d’elle, la princesse prit son père sur les genoux et lui fit boire le contenu de la fiole en le traitant de tous les noms. Elle lui donna ensuite la fessé pour se venger de sa petite enfance. Une fois guéri, le roi se dégagea et se remit sur pieds.
« Tu n’y as pas été de main morte, se plaignait le vieillard en se frottant le postérieur.
– Mais qu’est ce qui vous prend à tous ? demanda la jeune fille. D’abord Hercule, maintenant mon père…
– La chattapoux.
– Papounet… J’aime quand vous m’inventez de nouveaux surnoms…
– C’est la chattapoux. Je suis sérieux.
– La chattapoux ?
– Un virus qui est tombé sur le château. Visiblement, ce que tu m’as fait boire a levé la maladie. Il faut absolument en faire prendre à tous les malades.
– Vous en avez de bonnes, s’insurgea la princesse, vous avez vu dans que état ils sont ? Allez donc faire prendre un médicament à de pareils acrobates !
– Je vais appeler mes hommes et on va voir qui aura le dernier mot.
– Facile à dire. Vos hommes sont tous dans le même état.
– Hem… Diane, mon petit, qu’est ceci ? » demanda le roi en désignant l’immonde tas de merde en forme de limace qui rampait vers le duo.
Pour toute réponse, la princesse, comprenant qu’elle n’avait pas rêvé, perdit à nouveau connaissance. Horrifié par ce manque d’élégance, le roi s’écarta de quelques mètres en voyant sa fille s’écrouler sur le sol. Il leva mollement la main dans l’espoir qu’un de ses hommes lui porte secours, mais il était désormais seul au monde. En effet, toute la population du château qui n’avait pas été avalée par le monstre était désormais sous l’emprise de la chattapoux.
« Arrière ! » dit-il à la créature qui continuait pourtant à avancer. Embarrassé, le maître des lieux ramassa un caillou en tirant sur sa manche pour s’en faire un gant, histoire de ne pas se salir les doigts. Il le lança timidement vers le monstre qui ne s’en aperçut même pas. Celui-ci avala le roi et sa fille ainsi que la petite collection de fioles posée sur le sol. La réaction fut immédiate. La créature recracha aussitôt Ernest et Diane ainsi que tous ceux qu’elle avait avalés. Elle se recroquevilla, dégluti sauvagement en faisant un ignoble bruit de chasse d’eau et éclata en milliers de particules de merde et de sérum mélangées. L’odeur devint insoutenable. Une fumée du mélange ainsi obtenu se répandit à travers le château et les malades en furent instantanément imprégnés. La bouche ouverte et la langue pendante, ils en ingurgitèrent malgré eux de grandes quantités, ce qui les remit tout de suite sur pied. Si le sérum fut bénéfique, l’autre composant du mélange gardait toute sa saveur et un gigantesque râle de dégoût s’échappa du château pour résonner dans tout le royaume. Hyperborea n’était plus qu’un cri de détresse et les bandits qui s’en approchaient pour un éventuel pillage firent aussitôt demi-tour.
« Que s’est-il passé ? demanda Hercule en léchant goulûment quelques restes de substance restés sur sa lèvre supérieure.
– Tu es dégueulasse ! déclara Phileas en prenant le poignet d’Hercule qu’il agita violemment.
– Mais explique-moi !
– Je suis comme toi. J’ai perdu connaissance et je me suis réveillé couvert de merde.
– C’est de la merde ? s’affola l’autre en se dégageant.
– Exactement, expliqua Damien qui venait d’arriver. Je pense qu’une explosion de matière fécale a eu lieu sur le château.
– Je crois savoir ce qu’il s’est passé, intervint le roi Ernest qui venait à son tour d’entrée en scène. Avant de perde connaissance, j’ai vu une limace géante qui sentait mauvais se jeter sur moi. Le monstre m’a probablement avalé avec les médicaments qui étaient posés à mes pieds et qui soignent de l’étrange maladie qui est tombée sur le château.
– Oui, rajouta la princesse Diane qui était là elle aussi, c’est en lui faisant boire de ce liquide que j’ai soigné mon père.
– Vous parlez sans doute du sérum que j’avais laissé dans le couloir, supposa Damien.
– Sans doute, reprit le roi, et j’imagine que le monstre doit être allergique à ce médicament. Il est mort en éclatant dans les couloirs du château, libérant ce qu’il avait dans le ventre sous forme d’une fumée dont on peut encore voir les traces sur les murs, si bien que la substance s’est répandue absolument partout.
– Je comprends mieux cette guérison miraculeuse, intervint Damien. Et le monstre a probablement recraché ses victimes avant de les digérer. C’est une chance.
– Mais d’où venait cette créature qui sentait la ratatouille et le caca fermenté ? demanda Phileas.
– Des cabinets sans doute, répondit Hercule, sourire aux lèvres.
– Pourquoi tu dis ça ? demanda son coéquipier.
– C’est simple, j’y ai versé la ratatouille et j’ai vu des bulles remonter dans la cuvette.
– Tu serais donc responsable ? rugit la princesse Diane.
– Oui, répondit fièrement son fiancé. C’est grâce à moi que le médicament s’est répandu partout. Mais, vous savez, c’est peu de chose… »
Ni une, ni deux, tout le monde se jeta sur l’élu de la prophétie. Phileas passa ses bras sous ses aisselles pour le neutraliser tandis que Damien lui attachait les membres avec une corde. Diane enleva un de ses petits gants blancs de pétasse et s’en servit pour gifler Hercule.
« Que ça te serve de leçon, trancha le roi. Tu resteras là jusqu’à demain matin et pas question de soudoyer une servante pour te nettoyer.
– Me nettoyer ? demanda Hercule. Pour quoi faire ? J’ai pris un bain ce matin.
– Diane, demanda le roi, pourrais-tu à nouveau faire usage de ton gant sur cet imbécile ? »
Hercule fut à nouveau giflé et passa la nuit ainsi attaché jusqu’au lendemain matin. Malgré cela, le jeune homme riait intérieurement car il avait conclu que la punition consistait à le laisser dormir sans couverture, hors la matière fécale lui recouvrant le corps lui tenait bien chaud et il se dit que les autres ne s’en étaient même pas rendu compte. Le futur gendre du roi pouffa sous cape de sa bonne farce jusqu’au levé du jour.

Hyperborea: Une étrange maladie (Contagion et cabinets)

Épisode sept: Une étrange maladie

Chapitre trois : Contagion et cabinets

Damien eut alors l’idée de faire chauffer le beurre de cacahuète sur lequel il s’était frotté le zob et c’est comme ça qu’il obtint le remède auquel il pensait. Le vieux sorcier retourna en salle de détente pour fêter sa victoire.

En cuisine, Hercule se prit les pieds dans le manche d’un récipient et tomba à la renverse, entraînant une casserole pleine d’un liquide bouillant avec lui.
« Très bien ! clama la princesse Diane qui venait d’arriver en quête de confiture pour un goûter entre filles. J’enclenche immédiatement la procédure pour te faire expulser du château.
– Mais… bafouilla Hercule, laisse-moi t’expliquer !
– C’est inutile ! Je n’ai pas de temps à perdre avec un acrobate de bas étage qui s’entraîne à rater des tours d’adresse en cachette de sa bien aimée.
– J’essayais seulement d’aller aux cabinets vider un récipient avec les pieds.
– Mon pauvre garçon ! Je crains qu’aucun médecin du royaume ne puisse un jour te guérir…
– Mais c’est pour sauver la vie des habitants du château. Regarde, tout le monde est tombé dans les pommes ici. Le repas est sans doute empoisonné. Il faut se débarrasser de cette vilaine soupe.
– Et c’est pour ça que tu marches sur les mains.
– Voilà, exactement! Heu… Non ! Je vais t’expliquer.
– Allez, j’en ai assez entendu comme ça. En plus tu confonds la soupe avec la ratatouille, tu es lamentable. Je vais chercher un garde pour te ramener à la raison.
– Diane ! Non ! Attends ! »
Mais la jeune fille s’éloignait sans prêter attention au bruit causé par la chute sur le sol de son compagnon qui venait de tomber à la renverse.

Dans les cabinets, une étrange réaction provoquée par le contact d’un étron resté en surface avec la ratatouille donna naissance à une substance chaude, visqueuse et surtout vivante.
Ignorant le drame qui se préparait, Damien, qui était retourné dans son atelier après s’être détendu, remplissait des fioles de sérum pour les distribuer aux malades en sifflant une mélodie pop qu’un troubadour avait jouée au pipo la veille au soir.

La princesse revint vers les cuisines accompagnée par deux gardes à la carrure dissuasive. Entre temps, Hercule avait attrapé la chattapoux et marchait sur les mains, mais cette fois sans le vouloir.
« Voyez, dit la jeune fille, il est tombé sur la tête.
– Il a l’air encore plus idiot que d’habitude, commenta un garde.
– Et il nous observe sans rien dire, rajouta l’autre. Peut-être est-il malade…
– Sûrement pas, pesta la princesse Diane. Il m’a parlé tout à l’heure alors qu’il marchait déjà de la sorte. Je pense qu’il fait la nouille pour se rendre intéressant.
– Qu’est ce que c’est ? demanda le premier garde.
– Mon fiancé, répondit Diane, c’est vrai qu’on a du mal à le reconnaître, mais il suffit de l’imaginer dans l’autre sens.
– Non, reprit le garde. Je parle de cette substance brune et nauséabonde qui avance vers nous en faisant des bulles. »
Les regards convergèrent en direction du monstre issu des cabinets qui rampait d’une manière terrifiante vers le petit groupe. Compromis parfait entre la limace espiègle et le vieux boudin, la créature déployait deux antennes flasques et laissait échapper d’horribles bulles de chiasse de son corps mou qui éclataient en l’air avant de retomber en flaques liquides et odorantes sur le sol du château.
« C’est dégueulasse ! s’écrièrent les gardes à l’unisson.
– Mon dieu ! » fit la princesse en perdant connaissance.
Le monstre avala les deux hommes et contourna la jeune fille car il venait d’apercevoir quelques enfants à la chaire tendre dans le couloir.

Damien sortit victorieux de son atelier avec une collection de fioles posées sur un plateau.
« C’est bizarre, constata le vieux sorcier il y a comme une odeur de caca dans le couloir. »
Damien identifia une traînée sombre sur le sol et posa le plateau sur une banquette pour pouvoir se pencher sur l’étrange matière. Le vieil homme passa un doigt dans la flaque pour ensuite le porter à sa bouche.
« Putain, mais c’est de la vieille merde ! » gémit Damien en se relevant. Horrifié il se précipita dans la cours du château pour remplir une bassine d’eau au puits dans l’optique de se laver le doigt et la bouche, oubliant ainsi le plateau d’antidote sur la petite banquette.

Avec la démarche insupportable que peuvent avoir les femmes les plus tête à claque, la princesse Diane, qui était revenue à elle et qui pensait avoir fait un mauvais rêve, déambulait comme une grosse dinde imbue de sa personne en se passant bêtement la main dans les cheveux lorsque son regard tomba sur le plateau de fiole oublié par Damien. Intriguée, la jeune fille s’approcha en se rattrapant sur les pans du mur car elle venait de glisser dans une flaque de merde avec ses petites chaussures de pétasse.
« Quelle odeur épouvantable ! pesta la jeune fille. Il faut donner l’ordre de nettoyer le couloir au plus vite. »
La princesse s’empara des petites fioles et partit aussitôt chercher des femmes de ménage en repensant à son rêve stupide dans lequel les saveurs étaient similaires. Elle tiqua quelques instants en songeant que son rêve lui avait paru très réel et se ravisa en songeant que l’odeur du couloir en avait probablement influencé le déroulement. En revanche elle s’inquiétait de s’être assoupie de la sorte en pleine journée pour la première fois de sa vie et sortit aussitôt un fruit dissimulé dans son corsage qu’elle engloutit avidement dans l’espoir de reprendre des forces.

Dans la cour, le vieux sorcier ressentit d’étranges picotements dans les mains et perdit connaissance. Tel un zombie, il se redressa dans son sommeil et se mit à adopter la démarche d’une victime de la chattapoux. Les trois personnes qui faisaient la queue pour avoir de l’eau rouspétèrent aussitôt en faisant de grands gestes scandalisés. Inconscient, Damien continuait son manège autour du puits en tirant la langue.

« Yvette ! ordonna la princesse Diane en manifestant sa présence à la servante par un violent coup de pied dans le postérieur. Quand vous aurez fini de faire votre numéro d’étoile de mer, merci de bien vouloir vous relever pour aller nettoyer le couloir qui donne dans les cuisines, on se croirait dans le dortoir du personnel tellement ça sent mauvais. Et merci de vous laver les mains, elles sont pleines de crotte.
– Bien madame, répondit la jeune fille qui disait madame à toutes les femmes qu’elles soient reine de France ou fille de paysans. Vous direz à votre père que j’ai retrouvé une de ses bagues dans mon soutien-gorge ce matin, rajouta-t-elle en se relevant.
– Silence ! Faites ce que je vous dis et ne discutez pas !
– Je dis ça, c’était pour rendre service. Mais je peux très bien aller la revendre sur le marché. Et que diriez-vous si ce bijou était d’une valeur plus grande que vous ne le soupçonnez ?
– Allez-vous vous taire, misérable ?
– Vous savez ce qui arriverait ?
– Je ne veux pas le savoir !
– Je fonderais un empire et je renverserais le roi. Voilà ce qui arriverait ! Et vous prendriez moins vos grands airs car nous serions amies et nous mangerions dans la même assiette. »
La princesse dissimula le martinet qu’elle tenait derrière son dos et se rapprocha de la servante en feignant d’essuyer une larme.
« Yvette, dans le fond nous nous connaissons mal. Venez, nous allons nettoyer le château ensemble.
– Vraiment ? demanda la jeune fille aux mains crottées d’une voix tremblante d’émotion.
– Vous êtes vraiment naïve, répondit la princesse en faisant tomber la servante pour la seconde fois d’un violent coup de pied dans la poitrine. Vous pensez vraiment que si vous fondiez un empire, je mangerais dans la même assiette qu’une vieille pimbêche comme vous ? Allez plutôt partager l’auge des cochons à l’étable. Ceux-ci sont à vos mesures. Et mettez de l’eau dans votre vin ; le seul empire que vous connaîtrez jamais, c’est celui de la serpillière et du seau d’eau. Allez, au travail !»
Diane ponctua son discours d’un coup de martinet sur l’échine de la jeune Yvette qui n’osa plus répondre quoique ce soit.

Hyperborea: Une étrange maladie (Chahut dans la cuisine)

Épisode sept: Une étrange maladie

Chapitre deux : Chahut dans la cuisine

« Si j’ai chopé la crève, tu viendras faire le ménage dans ma chambre pendant une semaine, pesta Hercule enroulé dans une couverture.
– Non, répondit Phileas.
– Ce serait un minimum.
– Je n’ai rien parié, il n’y a pas de raison pour que j’aie un gage.
– Tes paris à deux balles m’énervent. Vas plutôt me chercher de la tisane en cuisine. »
Le gros barbu leva les yeux au ciel et s’exécuta. Resté seul, Hercule en profita pour déposer une bête qu’il gardait prisonnière dans un bocal à l’endroit exact où Phileas s’était assis.

Enfermé dans son atelier, le sorcier Damien s’activait comme un diable pour trouver l’antidote à l’étrange maladie. L’épidémie allait bientôt se répandre et la purée de poix cassés qu’il venait d’obtenir en croisant un lézard volant avec une libellule de terre ne lui servait pas à grand-chose pour le moment. Damien enchaîna en urinant lui-même dans une solution à base de chaire de pieuvre d’élevage nourrie exclusivement à la crevette noire, ce fameux fruit de mer aux vertus stabilisantes propre à exclure tout retournement de situation ferait peut-être l’affaire. Un gaz fétide s’échappa sans succès de la solution. Le sorcier se souvint alors de l’existence d’un remède à la chattapoux. Damien poussa un cri de joie vers le plafond. Les hormones et la graisse en étaient les deux composantes principales. Il eut alors une idée qu’il mit aussitôt à exécution.

Dans une cuisine du château, Phileas assistait à une scène d’une abondante singularité. Le chef cuistot et ses cuisinières se livraient à la marche sur les mains en tirant la langue avec une vitesse folle et le guerrier barbu reçut un violent coup de talon dans la mâchoire.
« Et bien, pesta-t-il, ça chahute par ici, on va se calmer tout de suite ! »
Le barbu illustra ses dernières paroles d’un coup de pied brutal dans le postérieur d’une cuisinière qui se releva aussitôt après sa chute pour recommencer son manège.
« Mais ma parole, ils sont tous timbrés ? »
Le guerrier roux les assomma un par un et fonça chez le roi, non sans avoir préalablement passé sa langue sur la poitrine dénudée d’une cuisinière qui gisait sur le sol.
A l’atelier, Damien s’était badigeonné le sexe d’une motte de beurre de cacahuète qu’il étalait de plus en plus fort sur son membre déployé pour voir si un élixir quelconque ressortirait de l’expérience. Mais le beurre resta du beurre et le vieux sorcier eut soudain beaucoup de mal à rester concentré. Il se rua aussitôt dans la pièce voisine, en l’occurrence la salle de détente, pour y chercher des cobayes parmi les dames de compagnies qui emplissaient la salle en fumant de longues cigarettes très coûteuses.

Vexé d’avoir été oublié par son camarade, Hercule se leva pour jeter un œil dans le couloir, mais il ne vit qu’une sentinelle qui marchait sur les mains. Déçu, le jeune guerrier alla s’asseoir sur le siège où se trouvait la bête. Il hurla au contact de cette dernière et se maudit de s’être piégé lui-même à la place de son acolyte. Hercule éternua, se gratta sous les aisselles et prit la décision d’aller lui-même en cuisine afin d’y voir plus clair.

« Sire ! lança Phileas, le chef cuistot et son équipe marchent sur les mains !
– La chattapoux, répondit le vieil homme.
– A vos souhaits. Je disais que le chef cuistot et son équipe marchaient sur les mains.
– Oui. C’est la chattapoux.
– Ben mon vieux. C’est la grosse vidange ! Il faut vous couvrir Sire, ou ça va se terminer en pneumonie.
– Cesse de dire des sottises et allons voir ensemble si Damien a trouvé un remède à la chattapoux.
– Pardon ?
– C’est le nom de la maladie qui pousse les victimes à marcher sur les mains.
– Je me disais aussi que vous aviez une drôle de façon d’éternuer.
– Imbécile ! »
Les deux hommes se rendirent à l’atelier, mais n’y trouvèrent personne. Une flaque de beurre avec une odeur de vieux zob fondait sur le sol tandis qu’une araignée de la taille d’un veau attachée à un pied de table quémandait un sucre en faisant cliqueter ses pattes velues sur les dalles en pierre de la pièce.
« Il n’est pas là, Sire, constata Phileas.
– Arrête de caresser cet insecte, répondit le roi, et partons à sa recherche. »
Phileas enleva à regret sa main du dos poilu de l’araignée complice et retourna dans le couloir avec le vieil homme.

« La vache ! hurla Hercule à voix haute en entrant dans la cuisine, ils sont tous empoisonnés ! Vite ! Il faut se débarrasser de toutes ces vilaines marmites ! »
Joignant le geste à la parole, le stupide guerrier enjamba le corps du chef cuistot et s’empara du récipient avec lequel celui-ci faisait cuire une vieille ratatouille pour aller en déverser le contenu dans les cabinets.

Phileas et Ernest rentrèrent quant à eux en collision avec Damien qui sortait de la salle de détente, la goutte au zob et la langue pendante.
« Et bien ? s’étonna le roi. Je vois qu’on travaille dur…
– Je vais vous expliquer, Sire, s’affola le vieux sorcier.
– Inutile mon bon Damien, tu te détends comme je l’aurais fais moi-même à ta place pour être d’autant plus efficace par la suite.
– Heu… Oui, voilà.
– Cette conscience professionnelle t’honore comme il se doit. Tu passeras me voir ce soir après le souper, je te donnerai des conseils pour obtenir les faveurs de telle ou telle gueuse. »
Une dame de compagnie sortit de la salle de détente à ce moment là pour aller aux cabinets et reconnut aussitôt le roi Ernest qu’elle enlaça en lui demandant s’il voudrait quelque chose de particulier pour ce soir. Le vieux monsieur agita lentement son index de gauche à droite en fronçant les sourcils et la femelle s’éloigna en haussant les épaules. Damien retourna dans son atelier pour prendre un bain et se remettre au travail.

Un bruit de matière plongée dans l’eau se fit entendre à l’autre bout du couloir et nos amis virent Hercule ressortirent des toilettes avec un récipient vide.
« Et bien, fit le roi, je ne sais pas ce que tu as mangé hier soir, mais tu n’as pas été très discret. Et d’abord qu’est ce que tu fous avec ce récipient ?
– J’ai vidé le repas de ce soir dans les cabinets, répondit l’autre, très fier de lui.
– Tu es malade ?
– Non pourquoi ? Ah oui ! Je vois ce que vous voulez dire. Nous n’avons rien à manger pour ce soir à cause de moi et vous pensez que j’ai sacrifié la nourriture exprès. Ha ! Ha ! Ha ! Vous devez me prendre pour un grand malade ?
– C’est en effet ce que j’ai dit. Phileas, tue-le.
– Quoi ? Mais le repas était empoisonné, tout le monde est dans le coma en cuisine. J’ai sauvé la vie du château, Sire !
– Merde ! jura Phileas. C’est vrai que tu n’es pas au courant, on va devoir t’épargner. Dommage…
– Au courant de quoi ? » demanda Hercule.
Les autres n’eurent pas le loisir de lui répondre car ils attrapèrent la chattapoux tous en même temps. Le guerrier fut le seul à rester debout et faillit se prendre un coup de talon du roi dans la figure. Il se gratta la tête et chercha à comprendre le message qu’on essayait de lui faire passer. Il demanda plusieurs fois les raisons de ce retournement et crut soudainement comprendre qu’on attendait qu’il fasse la même chose pour lui répondre. Hercule se mit alors à marcher volontairement sur les mains en ricanant de la situation. Voyant qu’on ne lui répondait toujours pas, il retourna en cuisine en gardant la même position et essaya d’attraper d’autres récipients avec les pieds pour aller les vider dans les cabinets.

Hyperborea: Une étrange maladie (La tête à l’envers)

Épisode sept: Une étrange maladie

Résumé de l’épisode précédent: Le roi vient d’engager un fou tandis qu’Hercule et Phileas ont bien failli se faire trancher la tête. Mais tout va bien car des dizaines d’innocents se la sont faite trancher à leur place.

Chapitre un : La tête à l’envers

« Gratte plus fort ! » ordonna le roi Ernest à une servante qui l’aguichait depuis un moment en passant sa main sur le torse du vieillard. Elle explora une touffe de poils de l’index pour ensuite redescendre vers le nombril en prenant soin de bien suivre la forme ondulée du vieux ventre flasque. Le roi s’agita convulsivement sur la banquette en tapant du pied comme un chien con et nerveux dont on frictionnerait l’oreille avec les ongles. La servante s’attarda un moment et le roi lui demanda de se déshabiller. Elle ne réagit pas.
« Et bien ! s’emporta Ernest. On refuse d’obéir ? »
La jeune fille au regard absent garda le silence et se mit à marcher sur les mains.
« Ben voila autre chose… » s’étonna le roi.
La servante décrivait des cercles en tirant la langue comme un automate. Croyant comprendre où elle voulait en venir, le roi lui saisit les chevilles à pleines mains et profita de la nouvelle position pour profiter d’une saveur sommes toutes plutôt rare. Une fois sa charge libérée, le vieil homme se recoucha sur la banquette et s’endormit sans prêter attention aux cercles que sa partenaire continuait à décrire sur les mains de manière très inquiétante.

« Saute ! ordonna Phileas.
– Non, répondit calmement Hercule.
– Tu as perdu. Tu sautes.
– Je refuse. C’était de la triche cette histoire de grenouille. La mienne a peur de l’orage, tu le sais bien.
– Et alors ?
– Et alors il ne fallait pas choisir un jour comme aujourd’hui pour leur faire faire la course.
– Il ne fallait pas choisir une grenouille de fiotte. Je m’en fous, tu sautes !
– Non.
– Qu’est ce qui te fait peur ? La profondeur du puits ?
– Oui.
– Quinze mètres, c’est à peine la distance entre l’étable et la fontaine. Tu trouves que ça fait beaucoup ?
– Oui.
– Tu veux un autre gage ?
– Oui.
– Mon poing sur la gueule ?
– Non.
– Alors saute. »
Phileas aida son camarade à franchir le pas d’un coup de pied bien placé qui projeta le perdant au fond du gouffre sous une avalanche de hurlements et de coups de tonnerre. La pluie commença à tomber et la victime fut remontée à l’aide d’une perche sous les ricanements de son camarade. Ils se mirent à l’abri et le plus gras des deux se mit à rire à gorge déployée en voyant le visage de son compagnon couvert de vase brune et nauséabonde, mais celui-ci avait une drôle d’expression, pas très jolie à voir et fort décevante pour le moral.

Le roi se réveilla et crut pendant une seconde angoissante que la servante était une échelle mobile qui tentait volontairement de rayer son sol. Il se remémora la scène précédente et s’inquiéta de voir que la servante continuait à marcher sur les mains en tirant la langue. Il est vrai que son visage était rouge comme un cul de singe et que la sueur qu’elle dégageait aurait fait fuir le plus téméraire des portugais mâles. Aussi le roi crut-il bon d’assommer la gueuse d’une violente claque dans la nuque. Il dut pour se faire se mettre à quatre pattes ce qui lui fit perdre son souffle. Quand la servante s’écroula sur lui, il ne fut plus capable de se relever et appela les secours. Deux gardes se présentèrent au même instant et se percutèrent au passage dans une rencontre de crânes spectaculaire. Le roi les somma de garder leur sérieux et de l’aider à sortir du tas de chaire fétide et suintante ce que les deux hommes s’empressèrent de faire une fois de plus au même instant. La violence de la collision les fit tomber à la renverse et le roi les traita de bons à rien. Ils finirent par coordonner leurs mouvements pour devenir plus efficaces et firent rouler la femelle dans la cheminée où son corps prit aussitôt feu sans plus de jérémiade.

« Voilà qui est surprenant, commenta le roi.
– Quoi donc, demanda un garde, le fait qu’elle ne portait pas de culotte ?
– Imbécile ! C’est moi qui la lui ai enlevée !
– Alors ça n’est pas très surprenant…
– Tu veux une claque ?
– Non, pourquoi ?
– Mais ma parole, tu es insolent !
– Non. Je suis un soldat. Les solants sont des créatures qui vivent sous terre et qui ont très mauvais caractère.
– Un peu comme vous ! intervint l’autre garde.
– Très bien, trancha le roi. Vous mangerez votre melon en entrée ce soir, ça vous fera les pieds.
– Quoi ? hurlèrent les deux autres à l’unisson. Mais c’est dégueulasse ! C’est un dessert, c’est sucré, on va pas manger du dessert en entrée quand même !
– On m’a forcé à le faire quand j’étais petit. Je l’ai vécu comme une punition.
– Vous étiez souvent puni ?
– Chaque fois qu’il y avait du melon. Ce soir, c’est votre tour, avouez que vous l’avez un peu cherché. Que disais-je moi ? Ha ! Oui ! Ce qui est surprenant, c’est cette danse infernale que la servante a exécuté avant que je ne l’assomme.
– Quelle danse ? demanda Damien qui passait par là et que la curiosité avait incité à rentrer dans la pièce.
– Tu es là toi ? dit le roi Ernest. Et bien figure-toi qu’une de mes servantes s’est mise à marcher en cercle sur les mains.
– Ne me dites pas qu’elle tirait la langue ! s’affola Damien.
– Si pourquoi ?
– La chattapoux…
– Pardon ?
– Une maladie rare et mortelle.
– Comment ça ?
– Les syndromes de la chattapoux sont les suivants : on marche en cercle sur les mains en tirant la langue. Évidemment, au bout de quelques heures, on meurt d’épuisement.
– J’aurais pensé que les malades mourraient fusillés pour hystérie collective.
– Non sire, on meurt d’épuisement. Et ne plaisantez pas avec ça. La maladie est extrêmement contagieuse et l’épidémie est visiblement tombée sur le château.
– Allons mon bon Damien, le corps de la grognasse est entièrement immolé. Nous ne risquons plus rien. »
Le gros sorcier se contenta de montrer les gardes du doigt. Ces derniers marchaient bien sur les mains, mais ne purent décrire aucune forme de cercle reconnaissable pour la simple raison qu’ils rentrèrent violemment en collision et s’écroulèrent lamentablement aux pieds du maître des lieux.
« Le spectacle que voici est ridicule, commenta ce dernier, j’espère ne plus avoir à subir pareille vision dans mon château.
– Hélas, sire, la machine est déjà lancée. »
Contrarié par l’évènement, le roi se gratta discrètement le nez et déposa subrepticement l’air de rien un trophée jaune et moite d’une envergure fort conséquente sur les vêtements du magicien.

Hyperborea: Le Seigneur de Castillaux (Un bouffon au château)

Épisode six: Le Seigneur de Castillaux

Chapitre cinq : Un bouffon au château

« A ce point là ? demanda le roi à Phileas qui venait de lui compter leur aventure dans les moindres détails.
– Oui Majesté. Il est stupide et porte une vilaine barbe bien moins gracieuse que la mienne.
– Bien, je vais donner quelques ordres pour que mon armée le dissuade de toute tentative. Et toi jeune homme, qui es-tu ?
– Je suis le brigand dont vos hommes vous ont parlé, mais j’aimerais bien retourner travailler. C’est que j’ai un convoi à détrousser d’ici trois jours, moi.
– Tu resteras ici, trancha le roi. Tu me plais bien. C’est vrai que tu as l’air très con et qu’un costume de bouffon t’irait comme un gant. Tu seras mon fou. »
Le brigand bougonna quelques temps et s’habitua rapidement à la vie au château. Il était nourri, logé, blanchi et commençait à prendre goût à son nouveau métier. Un soir, il se mit en scène dans son propre rôle et joua l’aventure du Seigneur de Castillaux avec Hercule et Phileas en renfort dans leurs propres rôles également. La représentation fut très bien accueillie jusqu’à la scène finale où un vieillard boiteux réquisitionné à la cour des miracles arriva sur scène avec une couronne sur la tête en disant :
« Tu me plais, petit. Tu as l’air aussi con que moi, tu seras mon fou. »
Un vent de stupeur souffla sur le château. Le roi se força à ricaner par principe et prit l’habitude ce soir là de faire claquer lui-même sa serviette de table sur les fesses du bouffon après chaque repas.

Hyperborea: Le Seigneur de Castillaux (Crise de nerfs)

Épisode six: Le Seigneur de Castillaux

Chapitre quatre : Crise de nerfs

« Qu’on me les retrouve immédiatement ! hurla le Seigneur en tranchant lui-même trois têtes de garde de son glaive aiguisé.
– Seigneur, répondit un survivant, je ne voudrais pas vous contrarier, mais plus vous réduisez vos effectifs, moins votre puissance est grande. »
De Castillaux lui lança un regard noir, leva son glaive et se ravisa en songeant qu’il n’avait pas tord. Ils étaient tous les deux devant la cellule vide et le seigneur fourra sa grosse tête dans le passage forgé par Phileas. Il baragouina quelque chose d’incompréhensible et le garde restant ne réagit pas. Le Seigneur insista et l’autre croyant à une crise d’éternuements prononça la formule de politesse propre à la situation. De Castillaux se mit à hurler en donnant un violent coup de talon derrière lui. Son garde le reçu entre les jambes et bondit au plafond. Après quoi il se rapprocha de son maître et finit par comprendre difficilement que celui-ci était coincé et qu’il demandait à ce qu’on le pousse pour passer entièrement de l’autre côté. Le garde donna un coup de pied de toutes ses forces dans le postérieur de son maître en songeant à tous ses camarades décapités. Le maître des lieux disparut dans l’orifice et se mit aussitôt à ramper en quête des prisonniers en maudissant la forme pointue des bottes que portaient ses hommes.

« Nous voici arrivés ! annonça Hercule en voyant la lumière du jour.
– Ce passage donne dans la forêt, constata le brigand, nous sommes sauvés.
– Si personne n’est à notre recherche, rajouta Hercule.
– Regardez, intervint Phileas en désignant une vaste clairière, des ogres en pleine prière. Ils sont au moins une centaine.
– Je crois qu’ils nous ont vu, rajouta Hercule. Faisons comme eux et tout se passera bien. »
Les trois évadés rejoignirent une étrange assemblée où plusieurs dizaines de types en uniforme faisaient valser des pompons jaunes en se prosternant bêtement devant une statue plutôt moche.
« Toanouvo ? demanda le voisin de prière d’Hercule.
– Toanouvo, répondit-il en croyant à une formule de politesse.
– Moatrézanssien, métoanouvo ! Toaki ? s’énerva son interlocuteur.
– Moi ami, s’affola Hercule en agitant un pompon du doigt de manière conviviale.
– Koa ? Toa déclanché fureurdudieusacré, hurla l’ogre en se levant précipitamment. Toa mourir é fairemourirnouavec ! »
Sans le savoir, Hercule avait commis le geste de profanation le plus extrême en touchant son pompon de la sorte. La cérémonie fut interrompue sur-le-champ et tous les regards se tournèrent vers nos amis. Le ciel se couvrit de nuages noirs et un bruit de tonnerre fracassant succéda à la lumière aveuglante d’un éclair terrifiant. Après quelques minutes pesantes, plus aucun bruit ne résonna dans la clairière. Le maître de cérémonie s’approcha des trois évadés dans un silence de mort et dégaina un couteau à la lame fortement aiguisée.
« Mes chers amis, lança Hercule, je vois que notre présence semble quelque peu perturber vos festivités et nous le regrettons de tout cœur, mais je vous en prie, votre silence nous met fortement mal à l’aise. Reprenez comme si nous n’étions pas là et rangez votre ustensile, le moment est mal choisi pour faire la cuisine. »
Pour toute réponse, l’ogre leva son arme et c’est à ce moment là que Phileas réitéra son talent de cracheur de feu. Les autres ogres s’affolèrent et Hercule fouilla convulsivement dans sa poche en jurant comme un charretier.
« Qu’est ce que tu fous ? demanda Phileas.
– Je cherche l’échantillon de poudre de Peruzob que m’a confié Damien.
– C’est quoi ? demanda le brigand.
– C’est ça ! » répondit Hercule en jetant un petit sac à terre. Celui-ci se vida de son contenu et une étrange poudre brillante et dorée entoura nos héros. Ils ne purent garder leurs yeux ouverts plus longtemps et les rouvrirent au château du roi. Dans la clairière, les ogres se heurtèrent à un restant de poudre jaune car leurs visiteurs s’étaient volatilisés. Cette poudre avait le pouvoir de ramener d’où il venait celui qui s’en servait en une seconde et ce quel que soit l’endroit, en l’occurrence ici: le château du roi. Les ogres se regardaient entre eux comme de gros cons qu’ils étaient par ailleurs et par nature.

« Qu’on m’apporte une trentaine de têtes ! hurla le Seigneur en ressortant du passage à reculons.
– Que s’est-il passé ? demanda son épouse qui était venue voir dans la cellule par curiosité.
– Il y a que les prisonniers se sont échappés et que je me suis retrouvé coincé à ne pouvoir ni avancer ni reculer dans ce foutu passage trop petit.
– C’est plutôt vous qui êtes trop gros, répondit la grognasse.
– J’ai fini par réussir à faire marche arrière et me voici, répondit la maître sans relever l’insolence de la gueuse.
– Vous avez paniqué ? demanda-t-elle en dissimulant un sourire méprisant derrière un éventail de pédale aux motifs écœurants.
– Si je… »
Le Seigneur ne termina pas sa phrase et se rua vers la salle d’arme. Il interrompit une séance d’entraînement en beuglant comme un âne :
« Des têtes ! Qu’on m’apporte des têtes immédiatement ! Une trentaine, une centaine, un millier de têtes !
– Seigneur, répondit le maître d’arme, votre armée se compose de mille hommes, si vous les tuez tous, vous serez tout seul. »
Furieux, le Seigneur de Castillaux décida d’agir lui-même et commença par le maître d’arme dont la tête roula aux pieds de son épouse qui l’avait suivi. Il hurla à pleins poumons et se rua au cœur de la pièce où une cinquantaine de combattants figés sur place attendaient la fin de la crise en priant pour leur propre sort. Le Seigneur se battait comme un diable face à des adversaires qui n’opposaient par devoir aucune forme de résistance. Il agitait son glaive dans tous les sens, décapitant à chaque geste deux ou trois de ses hommes. Ses yeux exorbités semblaient prêts à jaillirent dans l’espace comme des boulets de canons et les veines de son cou étaient gonflées à bloc par la violence de ses cris. Les têtes volaient de plus en plus vite à travers la pièce, s’entrechoquant parfois entre elles avant de retomber au sol. Au bout d’une vingtaine de minutes, les cinquante hommes du Seigneur gisaient à ses pieds et le calme retomba petit à petit sur la salle d’arme. L’épouse du maître leva les yeux au ciel et retourna à son tricot tandis que le Seigneur, essoufflé comme un chien sans laisse se rendait à la salle de détente où une dizaine de servantes à l’imagination très féconde l’aideraient à oublier l’horrible cauchemar qu’il venait de subir.