Pintade Surgelée: La grande aventure

Chapitre onze : La grande aventure

« Alors c’est d’accord, ce soir à vingt heures trente après dîner…
– Oui. Rendez-vous à l’entrée du camping, en face d canal. »
Dimitri me serra le pied. L’affaire était entendue. Nous quittâmes le collège le cœur rempli d’espoir. Sur le chemin du retour, je croisai Daniel, un copain gourmand. En m’apercevant, il se jeta sur moi. M’empoignant les genoux, il me fit perdre massivement l’équilibre.
« C’est bon ! Je les ai tes beignets aux pommes ! hurlai-je.
– Ils sont frais au moins ? s’informa Daniel
– Mais oui, comme d’habitude… »
Perturbé par cet empêchement brutal et quotidien, j’enfournai les friandises dans la bouche de mon gastronome comparse qui lâcha prise aussitôt pour s’éloigner d’un air serein en se délectant les papilles à l’extrême.
« Celui-là, il commence à m’agacer… » marmonnai-je en me relevant.

Plus tard, j’allai au rendez-vous. Dimitri sortit de sa poche un gobelet en plastique en m’apercevant et me le jeta brusquement au visage.
« Ignoble ruse, vieille branche ! » fis-je en ripostant par un bidon de sirop de grenadine vide.
Ce dernier pulvérisa le gobelet sur sa trajectoire et acheva sa course folle en fracassant mon camarade. Celui-ci sortit de sa poche une petite serviette prévue à cet effet et une carte.
« Nous allons longer le canal, expliqua-t-il, ensuite, nous prendrons un petit chemin qui nous mènera au bord de la rivière.
– Tu as l’équipement complet ? m’informai-je.
– Tu me prends pour le dernier des pétales de céréale ou quoi ? Je ne m’aventure pas dans la plus grande mission de tous les temps sans avoir emporté le nécessaire… »
En guise de preuve, Dimitri m’exhiba le contenu de son sac. Rassuré, je souris jusqu’aux oreilles.

La nuit tombante privait petit à petit le paysage de ses fières couleurs, ce qui ne faisait qu’accroître le mystère de l’expédition. Nous nous laissâmes glisser le long d’une pente pour accéder en bordure d’une petite plage de galets. J’écartai ici et là quelques branches qui me barraient la route et pus contempler le spectacle nocturne. Une étendue d’eau immense, ambiance dinosaure, avec végétation aquatique et îlots inquiétants généraient d’aventurières pulsions dans nos cerveaux modernes. Nous enfilâmes nos bottes d’assaut pour nous engouffrer dans les marais sauvages.
Soudain, deux points rouges percèrent la nuit de leur lueur oppressante. Un halètement se fit entendre ainsi qu’un bruit de coussinets sur le bitume du chemin goudronné bordant la plage. Les vessies se liquéfièrent dans les slips. Dimitri porta sa main à sa ceinture en cuir, prêt à la détacher pour se défendre, mais la créature se révéla n’être qu’un sympathique cocker noir errant.
« Sois le bienvenu, camarade canin ! » annonçai-je en saisissant l’animal par les pattes avant. Un jappement approbatif s’échappa de la gorge du chien. De cette rencontre, à priori totalement improbable, s’ensuivit une formidable ronde dans la noire vase à l’odeur fétide.

Nous reprîmes tous les trois la route, le chien sur mes épaules. La traversée d’un champ de roseaux provoqua chez Dimitri une crise d’allergie violente. Les yeux doublèrent de volume et la respiration se fit de plus en plus difficile. Nous dûmes quitter l’endroit pour adopter un itinéraire plus adapté à mon compagnon.

Au bout de quelques minutes, Dimitri me plaqua le visage dans la vase en gloussant tel un chimpanzé grippé. Je me relevai aussitôt pour lui tomber dessus en faisant toutes sortes de gestes incompréhensibles. Saisissant le col du garçon, je lui frappai le crâne contre une pierre très pointue. La réaction de Dimitri se manifesta par un tonnerre de ricanements, il adorait ce sport…

Nous traversâmes ensuite un pont de roche, ce qui nous permit de nous retrouver sur la rive faisant face au camping de la ville.
« Ha ! Quelle vue ! fis-je. D’ici, nous sommes les maîtres. Le moindre organisme doit se plier à notre volonté. Faisons le test avec cet animal. »
Je déposai le chien sur le sol. Celui-ci s’évapora dans une petite fumée grise.
« Je ne lui en demandai pas tant… »
L’aube commençait à pointer à l’horizon.
« Il faudrait penser à rentrer ! intervint Dimitri
– Mouais, fis-je, on commençait à peine à s’amuser.
– Peut-être, mais on a eu ce qu’on voulait. On ne va pas rester ici toute la nuit…
– C’est vrai. Nous pouvons enfin nous venter d’avoir posé les pattes sur cette plage soit disant inaccessible… »
J’eus à peine le temps de terminer ma phrase qu’une substance blanche et acide vint s’abattre sur le crâne de mon compagnon.
« Par toutes les biquettes ! Un volatile nocturne ! »
En deux temps, trois mouvements, Dimitri avait dégainé son ustensile de combat. Il pressa la gâchette et un projectile se planta dans le ventre de cette espèce de hibou. Une petite banderole faisant office de couche-culotte commença à se dérouler pour finalement emprisonner le basin de l’animal.
« Espérons qu’il n’attendra pas trois semaines pour la changer ! » ironisai-je.
Le hibou prit la poudre d’escampette en vociférant de dégradantes insultes en langue hibou.

Le retour se fit dans un silence complet. Nous avions la langue fatiguée, les pieds en compote et l’esprit occupé par la récente découverte. Aussi ce fut dans l’indifférence la plus totale que je frappai une créature des marais gênant ma route avec des yeux jaunes et des tentacules en forme de spaghetti.
Ce n’est qu’une fois rentré à la maison que je repensai à l’ignoble visage que j’avais, en toute innocence, fracassé à coups de tatanes. Un hurlement semblable au signal sonore de la base des justiciers de l’espace en mission prioritaire sortit de ma bouche. Maman me fit prendre une aspirine. Je lui expliquai pour la créature, mais elle répondit que je regardais trop la télévision. N’importe quoi !

Les adultes, tout de même…

Pintade Surgelée: L’effet pintade

Chapitre dix : L’effet pintade

Daniel se jeta sur moi en gloussant de plaisir. Dissimulé en haut de l’armoire entre mon vase en porcelaine et ma collection de croquettes pour chat Légumax, le bougre m’avait guetté depuis le début avec son sachet de sucettes Pipo Vorace.
« Ha, c’est malin ! dis-je.
– Ah ! Ah ! » Il s’en alla rejoindre les autres en ricanant avec sa guirlande de fête argentée sur les épaules…

Soudain, la sonnerie synthétique de l’électro-pendule retentit. Minuit ! C’était l’heure de la gigue ! Chaque invité fut convié, selon la tradition, à se trouver un partenaire et à lui faire danser le tango en ingurgitant de la pintade surgelée. Le projet remporta un succès phénoménal.
Dimitri (ayant fini par sortir du lavabo) se jeta sur Delphine qui tomba à la renverse sur la chaîne hi-fi. Un 45 tours resté sur la platine se déclencha automatiquement. La diffusion d’Elimine de Pascal Aubistrot réjouit les cœurs même les plus rabougris. La réussite fut telle que je me sentis obligé d’apporter les autres pintades, celles que j’avais un peu parfumées…

Delphine était toujours sans connaissance sur la chaîne hi-fi. Dimitri en profita pour lui enlever ses converses et pour lui mordre les orteils. La jeune fille se mit à piailler. Elle se redressa brusquement, se rua dans la cuisine et en revint avec une assiette garnie d’épluchures, d’os et de croûtes de fromage. Le garçon, méfiant, commença par renifler les plats, se pourlécha les lèvres pour finalement consommer la nourriture en remuant l’arrière-train. Delphine posa la paume de sa main sur le crâne du jeune homme. Une histoire d’amour prenait forme entre les deux adolescents…

Un des invités, célibataire et dépressif, tenta de mettre fin à ses jours par absorption massive de pintades à la noix de coco. Daniel remit sa guirlande en place et s’essaya à un dialogue avec le personnage, visiblement en totale perdition :
« Ne sais-tu pas que l’odeur de cadavre étouffé à la pintade est absolument ignoble ? Surtout à la noix de coco ! Tu risques de gâcher la fête !
– C’est vrai, fit l’autre, je n’y avais pas pensé.
– De plus, ton haleine est effroyable. Aussi, je te conseille d’aller te laver les dents et d’écouter ce que j’ai à te dire car j’ai une solution à ton problème, sale petite raclure huileuse de bassine à crotte mal rincée.
– Oh, chic ! Qu’est ce que c’est, dis ? Qu’est ce que c’est ?
– Ceci ! » conclut gravement Daniel, exhibant à son interlocuteur une pintade surgelée à la lavande.

« Ce Simon, quel sale type ! lança une voix. Il a refusé de m’indiquer où se trouvaient les toilettes.
Je terminai d’essuyer la purée de banane que j’avais sur le visage et m’empressai de répondre :
– Si tu avais évité de me frapper le dos avec une courgette mexicaine, je t’aurais peut-être pris au sérieux ! »
Vexé, le type renversa mon pot de purée de banane par la fenêtre du salon et sortit en claquant la porte. Dimitri, occupé à compter les pétales d’une marguerite dans le jardin, reçut toute la mixture sur le crâne…

Lors d’une danse, Émilie frôla Étienne d’un peu trop près. Libérant alors les enivrantes senteurs de son parfum personnel, elle provoqua chez le garçon, d’importants changements physiques. La langue de ce dernier se déroula très loin sur la moquette. Plusieurs personnes s’y prirent les pieds. Une fusée verte sortit de sous son tee-shirt, son derrière frappa le sol avec violence et il fut pris, pour finir, de spasmes nerveux et grotesques, ce qui expliqua sa chute en puissance sur la table basse. Émilie s’approcha d’Étienne et s’exclama :
« Cher ami, ma présence en cet instant festif serait-elle la source de perturbations nerveuses génératrices d’un spirituel déséquilibre de votre sérénité propre ou bien est-ce là le témoignage d’une volonté refoulée de se distinguer d’une masse inodore dont vous considérez les mœurs comme la plus ignoble des aberrations sociales ? »
Pour toute réponse, Étienne plongea sa main sous la jupe d’Émilie. La violence du coup que celle-ci lui porta provoqua l’effondrement de la charmante maisonnée. Chacun mourut étouffé dans d’atroces souffrances, mais nous fîmes l’impossible et nous voilà de retour pour de nouvelles aventures…

 

 

Pintade Surgelée: La Pintade-Party

Chapitre neuf : La Pintade-Party

Dimitri s’avança vers le mur du préau. Il ouvrit son sac et en extirpa une pile d’affiche jaune et un gros pinceau
« Le lettrage fluo est un peu excessif ! lança-t-il à mon intention.
– Le but, c’est qu’un maximum de gens soit au courant, il n’y a pas de limite ! rétorquai-je.
– Tu avoueras tout de même que le slogan : Pintade-Party ce soir chez Simon. Oh oui ! Oh oui ! C’est bon ! C’est bon ! est un peu douteux…
– Attends, je ne vois pas où est le problème… et puis tu ferais mieux de faire ton boulot si tu ne veux pas que tes vêtements soient imbibés de liquide spongieux et gluant ! »
Me voyant exhiber le seau de colle forte, Dimitri, rechignant, se plongea dans son triste labeur qui consistait, comme vous l’aurez sans doute compris, à annoncer par affichage l’existence d’une fête chez moi au reste du collège.

Alors que nous étions sur le point de poser la dernière pièce, un incident fâcheux vint troubler notre œuvre promotionnelle de façon vulgaire et platonique.
« Mais enfin, qu’est ce que vous faîtes ? Vous savez aussi bien que moi qu’il est strictement interdit d’afficher quoique ce soit dans l’enceinte de l’établissement, non ? »
Monsieur Édouard, le surveillant général à très grosse voix, écumait. Son désire de punir l’audace modifiait son timbre vocal déjà particulier à la normale pour le rendre encore plus inquiétant.
« Il a pas l’air content, ironisai-je.
– Non, mais vous savez le genre de sanction que cet incident peut entraîner ?
– On ne veut pas le savoir ! » hurlai-je en balançant le contenu du sceau sur le crâne du pauvre homme.
Ses longs cheveux hippies n’étaient plus aussi beaux à voir. Nous préférâmes prendre la poudre d’escampette avant qu’Édouard ne mémorise nos doux visages…

Nous nous affairions, la Nature et moi, l’un à organiser sa soirée et l’autre à mettre en place son spectacle nocturne. Un lampion par ici, une assiette de petits-fours par-là, et le salon resplendissait comme un panorama de bord de mer ensoleillé. Quelques étoiles au Nord, d’autres, accompagnant la Lune et son halo lumineux vers le sud, et le ciel dégageait un mystère largement aussi envoûtant qu’une salle des fêtes plongée dans la demi-obscurité du petit matin, après le départ des convives.

« Tu t’en sors ? questionna Dimitri, ponctuant son entrée dans la cuisine par un ballet des avant-bras.
– On fait aller, répondis-je. Cela dit, tu ne seras pas battu si tu ne seras pas battu si tu enfournes la tarte aux brocolis posée sur la table et si tu commences à mettre le couvert. »
Le garçon s’exécuta. Il était temps. Un premier coup de sonnerie se déclencha, puis un second, puis un autre, puis deux autres, enfin, le salon fut inondé d’adolescents avides d’émotions fortes et de rencontres affriolantes.

Les vodkas à la grenadine n’ayant été consommées qu’aux alentours de vingt-deux heures, je passerai sur les détails de la première partie de la soirée qui ne présente absolument aucun intérêt.
Assez tard donc, une des convives se dirigeait vers la salle de bain, en quête d’un miroir pour se recoiffer, la danse de ventre d’Étienne, debout sur le divan, ayant provoqué un violent courant d’air.
La belle enfant s’approchait de l’évier lorsqu’elle entendit un bruit de respiration étouffée.
« Qu’est ce que tu fous là ? demanda-t-elle à Dimitri qu’elle surprenait roulé en boule au fond du lavabo.
– Ben, ça se voit Delphine. Je cherche mon autocuiseur !
– Ici ?
– Ben, oui. Je l’avais posé à plat sur le rebord de la baignoire, et alors la fenêtre s’est ouverte et une vague de mousse noire a emporté l’autocuiseur. J’ai vite fait couler de l’eau chaude et tout est parti au fond du lavabo, mais je n’ai pas pu arrêter l’eau à temps et l’appareil a été aspiré lui aussi… »
La jeune fille laissa là son gastronome camarade et se rendit au salon où elle découvrit les occupants de la pièce plaqués en étoile, les uns sur les autres, sur le canapé en cuir jaune. Elle ne put s’empêcher de leur mettre à chacun la main sur le coude. Ils mugirent comme des petits veaux. Visiblement, ils n’aimaient pas trop ça.

La préparation des pintades ayant été menée à terme, je m’apprêtai à quitter la cuisine, lorsque je sentis une masse s’abattre sur mon dos…

A suivre