Pintade Surgelée: Le voleur d’œufs

Chapitre dix-sept : Le voleur d’œufs

En arrivant dans les cuisines du château, Dimitrius et Delphine aperçurent le comte Étienne Demonfraid qui cachait dans sa besace une bien étrange enveloppe.
« Bon sang ! Demoiselle Delphine ! glapit Dimitrius. Voilà notre homme.
– Vous croyez…
– C’est évident !
– Ce serait lui qui…
– Oh là ! Vous, là-bas, avec la besace ! » hurla le seigneur à l’adresse du comte.
En entendant la voix du seigneur, Demonfraid prit ses jambes à son cou.
« Cette fois, le doute est totalement exclu ! rugit Dimitrius. Ce filou est de toute évidence mêlé à un trafique d’œufs ! »
Dimitrius fit arrêter le coquin sur-le-champ, lequel protesta :
« Non et non ! Vous ne lirez pas mon courrier galant. Il est très clairement et exclusivement adressé à Demoiselle Émilie d’Allychamps ! Malgré le respect que je vous dois, je vous l’interdis ! »
Dimitrius soupira de soulagement et ne put s’empêcher de lire la précieuse lettre.
« Quel navet cette déclaration ! pouffa le seigneur. Demonfraid, vous n’êtes qu’une grande asperge d’opérette ! L’art de la galanterie n’ayant pour vous d’égal que la modeste taille de ma personne, je vous propose de faire un saut dans mes appartements, je vous y donnerai des leçons ! Dimitrius partit d’un grand rire.
– Renoncez à votre analyse ! fit l’autre. La taille d’une œuvre ne s’appréhende qu’avec de bons outils et votre équipement laisse à désirer. Mon ami, l’art a ceci de commun avec une garde-robe XL que la nature n’en permet pas la capacité de consommation à tous. Soyez adepte, Monsieur, de ce qui rentre dans vos mesures et commencez déjà par vous donner les moyens de prendre ces choses de votre hauteur.
– Qu’est-ce à dire ? Des insultes ? On se moque de moi ? On me traite de nain ?
– Oui Monsieur, et je vous somme de relever le défi que je vous lance ! » brailla Étienne en dégainant sa lame.
Il fut soudainement interrompu par une forme noire qui le fit trébucher.
« Danny ! hurla Dimitrius. C’est un cauchemar ! »
Le chat, les babines pleines de mayonnaise et de morceaux d’œufs, était aux anges.
« Ne me dîtes pas que c’est cet animal qui… »
A ce moment, Danny se jeta sur le seigneur et lui fit perdre l’équilibre.
« Allons, debout maintenant ! lança un homme de la cour en renversant un pichet d’eau fraîche sur Dimitrius afin de le remettre sur pieds. Il faut retrouver cette satanée bête. Debout ! Debout ! »

Dimitri ouvrit un œil, puis l’autre. Il pleuvait à verse dans la cour du collège. Le garçon tata l’herbe mouillée. Il n’avait pas quitté sa place.
« Le cours commence dans deux minutes ! Debout ! m’affolai-je. Tu connais madame Roseau, tu vas encore la mettre de mauvaise humeur si tu ne te dépêches pas. Et tu risques aussi de prendre froid, vieux farceur !
– Je ne savais pas que tu t’intéressais à ma santé ! fit mon camarade.
– On n’a plus le temps de bavarder, répondis-je, maintenant, il faut partir ! »
Je pris la main de Dimitri et l’entraînai dans un conduit d’aération.
« Merci de me servir d’escorte, murmura-t-il, les conduits sont souvent mal fréquentés à cette heure tardive… »
Il m’adressa un sourire complice dont j’ignore toujours la signification.

Pintade Surgelée: En sortant de la cantine

Chapitre seize : En sortant de la cantine

« Tu m’as doublé, salle petite croquette aux légumes ! » lança Daniel à un cinquième baveux et méprisable.
Compressés dans une étouffante queue humaine, nous attendions notre tour pour prendre le repas à la cantine scolaire. Le jeune fut victime de fortes réprimandes. Daniel n’aime pas se laisser faire…
« Non, mais tu as vu la couleur de la mayonnaise sur les œufs durs ? s’indigna-t-il à mon intention. On dirait que la nourriture est sous l’emprise des forces du mal dans cet établissement…
– C’est fini oui, les insultes ? s’exclamèrent les œufs en chœur. Vous n’avez qu’à manger ailleurs si vous n’êtes pas content ! »
Daniel baissa la tête, confus. Et les œufs d’ajouter :
« Nous sommes badigeonnés de sauce pour finir dans vos estomacs ; notre vie se limite à alimenter des corps boutonneux dont la capacité d’accueil est réduite au point de nous étouffer vivants avant digestion, c’est ignoble ! Vous ne pouvez pas comprendre ce que nous ressentons. »
Daniel leva la main droite et s’engagea à ne plus faire de remontrance publique vis-à-vis de la nourriture.

Le repas terminé, Dimitri partit s’allonger dans l’herbe quelques instants. Le soleil brillait et les vacances scolaires approchaient à grande vitesse. Le garçon se dit qu’il serait idiot de ne pas en profiter et se roula dans la chlorophylle.
« Ce Daniel, quel goinfre ! songea-t-il. Il commence par faire du lèche-botte aux œufs à la mayonnaise en jurant de ne plus les insulter et en avale ensuite cinq d’affilée ! »
Le garçon se mit à sourire avant de se laisser envahir par un sommeil digestif.

Toc ! Toc ! Toc !
« Ouvrez la porte ! Messire Dimitrius, l’heure de la sieste est terminée. On vous attend en cuisines pour une affaire des plus importantes !
– Mais… mais qui est là ? gémit le garçon à moitié réveillé.
– Demoiselle Delphine, voyons ! Votre promise devant Dieu. Dépêchez-vous maintenant. Les cuisines sont à cinq bonnes minutes de vos appartements et le château est souvent mal fréquenté à cette heure tardive.
– Faîtes-moi venir une escorte ! plaisanta l’autre. Mon château mal fréquenté… on aura tout entendu ! »
Le seigneur Dimitrius étira lentement les bras et bailla à s’en décrocher la mâchoire lorsqu’une touffe de poils se jeta de l’armoire sur le lit à baldaquin en miaulant.
« Danny, stupide chat de gouttière, ton fétide pelage est à mes yeux ce que le cheveu est à la soupe de légumes : une aberration pure et simple ! »
Le jeune homme saisit l’animal par la peau du cou et lui fit prendre connaissance de la température du plafond. Il donna à la demoiselle l’autorisation d’entrer dans la pièce et se débarrassa de sa chemise de nuit. Tandis que Delphine tournait le dos pour masquer sa gêne et échapper au monstrueux spectacle, Dimitrius réclama une mise au clair des évènements.
« Ce sont les œufs ! lâcha la jeune fille.
– Les œufs ? Je ne comprends pas ! fit le seigneur. Ne me dîtes pas qu’après les gens du peuple et le prolétariat des campagnes, les aliments ont à leur tour pris la tête d’un mouvement de révolte !
– Ce n’est pas…
– Il faut nourrir les chiens mademoiselle. Si la viande paysanne pousse plus vite que le croc ne tranche, c’est sur les défenses du château que la faute retombe !
– Voyons…
– Silence ! S’il n’a pas encore été enseigné à nos hordes canines l’art de repousser les œufs, je… mais… mais que me chantez-vous là ?
– Rien du tout. C’est vous qui vous emportez monseigneur. Je viens vous prévenir que les œufs à la mayonnaise prévus pour le souper du soir ont été dérobés durant votre sommeil. La garde attend vos ordres et la cour compte sur vous pour régler l’incident au plus vite.
– Je… hum ! Dimitrius s’épongea le front de son mouchoir de soie et lança d’une voix ferme :
– Puisqu’un certain plaisantin semble prendre un malin plaisir à vider les cuisines de leur contenu, nous allons de ce pas le démasquer ! »
Le seigneur Dimitrius se mit précipitamment en marche vers la porte lorsque son pied trébucha sur Danny.
« Sale bête… » maugréa-t-il en relevant.

A suivre

Pintade Surgelée: Monsieur Mimosa

Chapitre quinze : Monsieur Mimosa

Treize heures trente : un homme ouvre la porte de sa cabane juchée sur la colline du chien jaune et pénètre dans le poste de pilotage de son hélicoptère personnel. Il jette un dernier regard sur la petite bâtisse en bois avant de décoller et esquisse un sourire victorieux. Le volatile métallique se soulève dans les airs et disparaît avec son passager à la grande surprise d’une sympathique famille d’écureuils nerveux et stupides.

Aujourd’hui, un nouveau professeur va arriver au collège des Tomates Cuites. Il s’agit de monsieur Mimosa, chargé d’enseigner les sciences physiques. Nous l’avons appris en fin de matinée. J’entends encore la voix du directeur résonner dans ma tête :
« Mes enfants, c’est cet après-midi qu’arrive monsieur Mimosa, je compte sur vous pour vous montrer digne de notre établissement ! »
En entendant le nom de Mimosa, toute la classe a éclaté de rire. Pour nous punir, le directeur a demandé à Boris, le chauffeur du collège, de faire cinq fois le tour de la ville en vitesse supersonique. Nous avons tous vomi notre petit-déjeuner !
Quand monsieur Mimosa est apparu, Dimitri s’est un peu mis en colère car il ne s’attendait pas à ce que notre nouveau gaveur de formules chimiques arrive en hélicoptère. Celui qui provoque l’admiration des écureuils nous salua d’un grand geste et saisit son magnétophone duquel sortaient les mots suivants :
« Bonjour à tous ! Que ceux qui aiment la crème glacée se lèvent ! »
Aussitôt, plusieurs personnes sautèrent sur place en tirant la langue, à la suite de quoi un lâcher de pots de crèmes dessert fut effectué dans la cour des Tomates Cuites.
« Vous croyez que c’est comme ça que vous allez nous conquérir ? s’excita Dimitri en repoussant une crème du pied comme s’il s’agissait d’une vieille fesse fripée, plissée et décrépie. Encaissez ceci ! » conclut-il en orientant son lance-pierre vers l’appareil à hélice.
Il marque le bonus et Mimosa tomba à la renverse. Étienne, un copain très porté sur la chose, se rua sur le professeur. Croyant à une apparition de la déesse de la volupté, il lui fit boire un puissant filtre d’amour. Lorsqu’il se rendit compte de la supercherie, Étienne badigeonna Mimosa d’un sérum sous forme de pommade pour annuler l’effet de l’élixir. Le visage inondé de pâte, le pauvre homme ne voyait pas où il allait. Il rentra violemment en collision avec les frères Lapaire qui se tenaient par la main. En se relevant, l’aîné des deux frères prit Mimosa pour l’abominable homme pommade de Sibérie. Il partit s’enfermer à clef dans la salle d’étude et observa la scène par la fenêtre.
« Ça suffit comme ça ! rugit le professeur. Vous allez me faire le plaisir de vous mettre tous à genoux ».
Alors l’intégralité des élèves du collège s’exécuta à l’exception de quatre garçons dans le vent. Par ailleurs, impressionnés par l’autorité dont Mimosa faisait preuve, je ne pouvais qu’être admiratif devant tant de brio.
« Il a forcement une faiblesse ! couinai-je, irrité.
– Peut-être les lacets de chaussure ? proposa Étienne en trébuchant sur un bête type qui se prosternait au sol.
– Ou bien les bouteilles de shampoing vides ? fit Dimitri en faisant le geste de se laver les cheveux pour bien faire comprendre.
– Vous n’y êtes pas ! intervint Daniel. Son truc, c’est les paquets de chips, ça se sent à plein nez ! »
Nous baissâmes la truffe, honteux d’être aveugles devant tant d’évidence. Alors Daniel utilisa un des formidables pouvoirs qu’il avait acquis auprès d’un mage indien lors de ses vacances passées à Calcutta et fit apparaître un paquet de Blondes à croquer dans sa main.
« Tant mieux ! pensai-je. Je n’aurai pas à sacrifier mon précieux paquet arôme miel de Provence… »
Mimosa se mit à renifler en ouvrant grand le nez et la bouche et lorsque son organe olfactif allié à ses papilles délicates détectèrent la saveur patatoïde dans l’air, le professeur frémit de tout son être.
« Je pense qu’il a compris ! expliquai-je aux autres
– Tu nous prends pour des tarés ? » aboya Dimitri en m’administrant une des plus étonnantes gifles de son répertoire.
Mimosa remuait l’arrière-train en se pourléchant. Alors seulement, nous sortîmes les cordes de nos sacs et lorsqu’il fut à notre portée, nous le ligotâmes sans aucune difficulté.
« Alors coco, on voulait faire sa loi ? demandai-je.
– Non, Monsieur ! gémit l’enseignant.
– Jurez-nous de vous tenir à carreau, dis-je, ou on vous pique tous vos chips.
– C’est juré ! » céda l’autre.

Depuis, monsieur Mimosa se conduit avec nous d’une façon tout à fait charmante. Ah, ces adultes… Aucune autorité !

Pintade Surgelée: La fête foraine

Chapitre quatorze : La fête foraine

On s’était tous donné rendez-vous avec les copains. Seulement, la veille de la foire, maman a fait quelque chose de totalement illégal. D’abord, elle a été gentille avec moi pendant tout le dîner. Je n’aime pas quand maman est trop gentille, ça cache quelque chose. Et puis soudain, elle m’a dit :
« Mon chou, je compte sur toi pour emmener Cécile à la fête foraine demain soir. »
Cécile, c’est ma petite sœur. Je ne vous en ai peut-être pas encore parlé, mais il y a deux choses que vous devez savoir sur elle. D’abord, c’est la plus jolie et la plus gentille fille du monde parce que c’est ma sœur. Ensuite, c’est la plus insupportable et la plus odieuse fille du monde… peut-être aussi parce que c’est ma sœur.
« D’abord, je ne suis pas ton chou, j’ai répondu à maman, et puis c’est illégal de prévenir les gens à la dernière minute.
– Sûrement pas autant que de contredire sa mère ! répondit maman en débarrassant le plat à tarte alors qu’il restait encore une part.
– J’irai à la foire sans elle et puis de toutes façons, les copains m’attendent, alors Cécile, elle peut commencer à sortir ses poupées Cindy pour demain ! Cécile pleura un coup et maman rétorqua :
– Ne parle pas comme ça devant ta sœur et essaie plutôt de t’arranger avec tes amis ! »

Pas tellement emballé par le projet Cécile, je me faufilai mollement à travers le conduit qui mène à ma chambre où je pris le téléphone et composai le numéro de Dimitri. Après une simulation d’alerte à la bombe pour divertir mon camarade, je tentai une négociation.
« La foire ? Avec Cécile ? C’est sympa comme tout, s’exclama-t-il. Moi, je dis qu’on n’annule rien du tout et qu’on vous accompagne toi et ta sœur. Un coup de fil aux autres et tout sera arrangé.
– Dimitri, je ne saurais exprimer assez de gratitude envers un être si sympathique, si grassouillet, qui fait si bien la tarte aux mouches et qui est capable de venir en cours avec des chaussettes Nadia l’abeille le jour de la rentrée des classes…
– Bon, ben ça va ! » coupa l’autre.
De joie, je raccrochai vivement le combiné et imitai la sirène d’ambulance à la perfection.

Le lendemain, mes trois amis provoquèrent un mini-scandale dans la commune en effectuant un saut en parachute sur la place du marché. Occupé à dépiauter un sachet de nougats pour Cécile, je n’entendis pas les appels aux secours. Dimitri s’était malencontreusement empalé l’arrière-train sur une antenne de télévision. Ce n’est que plus tard dans l’après-midi que ma sœur insista pour monter sur le manège qui tourne en rond, celui avec la voiture-Canard, convoitée par tous les enfants de la ville.
« La voiture-Canard ? firent mes camarades. Nous n’attendions que ça ! »
Alors, d’un formidable élan, nous nous retrouvâmes aussitôt à cheval sur les véhicules les plus performants qui soient, moyennant un saut périlleux du trottoir au manège. Etienne avait un hélicoptère, Daniel et moi, une voiture de course, et enfin, Dimitri pilotait un lapin à réaction. Quelques gosses nous dévisagèrent, un peu surpris, puis l’appareil se mit en route.
« J’ai le grand frère le plus formidable du monde ! » hurla Cécile.

Après avoir rendu jaloux quelques gamins en attrapant le pompon à cinq reprises, nous fûmes jetés dehors par le tenancier. Une fois descendus des véhicules fantaisie, nous nous jurâmes de parvenir à monter sur la voiture-Canard, l’an prochain…

Pintade Surgelée: Le stage en entreprise

Chapitre treize : Le stage en entreprise

Ce matin, monsieur Liégeois, notre professeur principal, était tout énervé. Une fois rentré en classe, il nous a fait un grand sourire et il nous a dit :
« Mes chers enfants, et quand je dis enfants, j’ai tort, car c’est la semaine prochaine que vous allez effectuer votre stage en entreprise, ce qui va faire de vous des adultes !
– Et ça plaît aux filles, les stages en entreprise ? demanda Étienne en grattant la plaque de sucre enduite sur sa chaise.
– Ne dites pas de sottises et réfléchissez plutôt au secteur vers lequel vous allez vous orienter ! fit Liégeois.
– Moi, je veux faire un stage en pâtisserie ! s’exclama Daniel.
– Très bonne idée ! rétorqua Liégeois en jetant un pain au chocolat vers la table de Daniel. Ce sera l’occasion pour vous de vous informer sur une profession pour laquelle vous semblez être fait… »
Daniel sauta sur place pour attraper la friandise, mais retomba en pleine mer Méditerranée, suite à une tempête magnétique.

Je marchais tranquillement dans les ruelles de mon quartier dans l’espoir de trouver une idée de stage lorsque mes pieds rentrèrent en contact avec une chose poilue et visqueuse aux longues moustaches. On appelle ça un chat, je crois.
« Mais bien sûr ! fis-je. Les croquettes Légumax ! Il y a forcément un endroit où on les fabrique ! »
Tandis que je traversais la rue dans le but de quérir des informations à la mairie, mes pieds continuèrent leur progression sans se soucier du malpropre obstacle qui se retrouva sur le trottoir d’en face.

Une fois sur place, je demandai des prospectus à l’accueil, mais le personnel se réunit autour de moi et chacun se frotta la joue avec une brosse à dent pendant une demi-heure ! Au bout du compte, on finit par m’expliquer qu’il n’était pas possible de faire un stage dans les usines Légumax car elles étaient très loin d’ici, mais que je pouvais toujours travailler au rayon alimentation animalière du super marché. Moi qui collectionnais les croquettes pour chat Légumax depuis ma plus tendre enfance, je me disais qu’il y aurait sûrement moyen d’y faire carrière !
Juste au moment où j’allais partir, le maire lui-même ouvrit la porte de son bureau et clignota comme un interrupteur huit fois de suite.

Quelques jours plus tard, mon poste de chef de rayon fut officiel. J’allais l’occuper pour une durée d’une semaine sur ordre du collège.
« Vous n’êtes pas obligés de venir acheter des croquettes en ce moment ! confiai-je à mes parents qui contenaient avec peine d’atroces rires étouffés à la vue de ma blouse de service.
– Nous pensions que tu aurais besoin d’une présence familière pour ta première journée… expliqua mon père en se forçant à détourner le regard de mon grotesque uniforme.
– Restez quelques minutes si votre présence à mes côtés vous paraît indispensable, mais tâchez d’être discrets. » fis-je.
Connaissant d’avance le résultat, je préparai une lettre de démission, à tout hasard, on ne sait jamais. Il avait beau s’agir d’un stage, présenter les choses de manière officielle me paraît être un principe essentiel et incontournable.

Les problèmes commencèrent avec l’affolement général provoqué par papa, suite à un souffle au cœur simulé par ce dernier, sois disant pour détendre l’atmosphère. J’expliquai à mes supérieurs que, dans la famille, nous nous efforcions d’être de joyeux farceurs, mais que désormais, mon père se tiendrait à carreaux et que ce magasin était un ravissement pour l’œil ainsi qu’une bulle de confort et d’efficacité.
« C’est vrai, renchérit ma mère, vous avez un très bel établissement, de la clientèle et vous le méritez…
– Une satisfaction totale et une séance de courses dans un cadre convivial et sympathique accompagné d’un plaisir certain ! » ajouta mon père en étouffant un ricanement gêné.
Mes supérieurs s’arrachèrent la peau du visage et des épluchures de bananes liquéfiées coulèrent de leur tête. Le message était clair et rien ne pouvait d’avantage conseillé qu’un grand silence.

C’est pour ça que je pense avoir eu une idée de génie en partageant un paquet de croquettes avec mes parents car après la distribution, nous avons été sages comme des images. On s’est même mis par terre sur le carrelage. Papa a dit qu’il allait faire pipi et la seule chose un peu étrange, c’est ce type avec une machette et un masque de hockey qui s’est mis à hurler:
« On est vendredi 13, je dois venger ma mère !
– Va te noyer dans le lac, pauvre fou ! » lui a répondu du tac au tac un vigile qui venait d’arriver.
Le type a reposé son arme et a enlevé son masque : c’était papa ! Il avait voulu nous faire une farce. On a tout de suite été mis dehors…

Le stage, c’est un chouette souvenir, mais il faut pas le faire avec ses parents !

Pintade Surgelée: Étienne est malade

Chapitre douze : Étienne est malade

Les jambes insolemment croisées sur son bureau, Dimitri lança comme un défi au professeur d’anglais :
« Je sais bien qu’il est interdit de tartiner sa trousse de confiture, mais au lieu de vous investir dans une bête punition, conservez plutôt votre énergie et votre malice pour répondre à la question suivante : lorsque je frappe mes deux mains l’une contre l’autre, quel est le son produit par une seule main ?… »
Monsieur Liégeois du interrompre le cours pour aller prendre une aspirine. Ovation pour Dimitri de la part des autres élèves…

Onze heures trente. La matinée avançait et toujours pas de nouvelles d’Étienne.
« Serait-il malade aujourd’hui ? » s’interrogea Daniel.
Le bougre ne croyait pas si bien dire. Nous passâmes tous chez Étienne entre midi et deux et apprîmes avec horreur qu’il était salement grippé depuis le matin. Dimitri, qui a toujours des idées hors du commun, proposa à Étienne d’assister au cours par talkie-walkie interposé, mais le jeune infirme refusa à cause du prix des piles. Quel radin ! De son côté, Daniel, un copain un peu enrobé, offrit un paquet de barres céréalières énergétiques Croc-Miam au sympathique malade qui prétendit ne pas se sentir capable de mastiquer la moindre miette.
« Arrêtez votre cirque ! intervins-je. Vous ne connaissez pas Étienne ? Nous savons tous ce qu’il lui faudrait pour retrouver la forme…
– Vous feriez ça ? demanda Étienne, une lueur implorante dans les yeux.
– A ton avis, les amis, c’est fait pour quoi ? » conclu-je.

Émilie fut l’objet de notre choix. Daniel était chargé de la guetter à la sortie du collège. Lorsqu’il la vit arriver, le garçon avala ses croissants aux amandes et jeta sur elle son filet à jeunes filles. Conter toute attente, Émilie sortit ses griffes et trancha d’un geste le terrible piège à cordes. Daniel riposta aussitôt par son rayon mental paralysant. La pauvre enfant ne pouvait plus esquisser le moindre geste.
« Tu ne croyais pas que tu allais t’échapper des Tomates Cuites aussi facilement ? fit Daniel.
– Espèce de maniaque dégénéré ! aboya l’autre. Toi et ta bande, vous n’êtes qu’un troupeau de champignons maléfiques en perdition ! Qu’est ce que vous me voulez cette fois ?
– Ici, c’est moi qui pose les questions ! Vu ? »
Daniel prit la fillette sur son dos, mais celle-ci lui mordit le gras du flanc gauche. Le garçon hurla de douleur, puis se mit à insulter les gens sous prétexte qu’ils observaient la scène depuis sans aucune retenue.

Lorsqu’il vit le beau cadeau qu’on lui apportait pour lui tout seul, Étienne avala son oreiller, s’enroula dans les rideaux en chantant Migraine de la joie d’Alain Paschot et commença à repeindre sa chambre en bleu citron. Émile crut bon d’intervenir :
« Si ma simple vision te suffit pour guérir, je crois que je vais y aller. Daniel, tu me libères s’il te plaît ?
– Que nenni ! fit Daniel. Tu ne crois tout de même pas que j’ai pris tous ces risques uniquement pour t’exhiber à Étienne. Non ! Ton supplice ira beaucoup plus loin !
– Prépare-toi à subir les pires immondices ! » rugit Étienne en déboutonnant sa chemise de nuit. Émilie ferma les yeux en maugréant. Dimitri et moi l’empoignâmes solidement par les épaules alors que le rossignol en jupon se libérait de l’emprise psychique de notre pachydermique compagnon. Le torse à l’air, Étienne enroula sa chemise de nuit autour de la tête d’Émilie.
« Sale macaque pourri à la crème d’excrément ! Je peux savoir ce que tu cherches à faire ?
– Laisse nous agir, ma belle. Tu ne vas pas le regretter ! »
Daniel attacha Émilie au plafond par un système de fils et de pinces à linge afin d’y travailler plus confortablement.
« Le support est prêt ! Allons-y ! » brailla-t-il. Étienne partit dans la cuisine et en revint avec le tablier de sa mère qu’il passa à la jeune fille. La tête enroulée dans la chemise de nuit d’Étienne, Émilie ne voyait rien de ce qui se passait, mais suait en revanche à très grosses gouttes. Étienne lui passa également ses après-ski aux pieds et enfin, telle la cerise sur le gâteau, lui enfila ses moufles mauves avec Mini Monsters cousu sur le revers. Clic ! Le flash de la photo réveilla un papillon de nuit logé sur l’armoire qui, croyant à une manifestation du dieu des papillons, se prosterna en récitant des incantations grotesques. Comprenant ce qui venait de se produire, Émilie jura en elle-même qu’elle ferait tout pour réagir aux pitreries de ses espiègles camarades, tandis que le papillon, satisfait de sa performance dévotionnelle, se replongea dans un sommeil de plomb.
Nous débarrassâmes Émilie de son accoutrement ridicule et la détachâmes du plafond, après quoi elle prit Étienne par les mains en lui souhaitant un bon rétablissement.
« Sur le coup, je t’ai détesté, vieille pelure obsessionnelle, mais maintenant, je me sens tellement épanouie… Voilà pour te récompenser ! »
Elle tendit à Étienne une tranche de pain d’épice qui fut engloutie dans la seconde même. Écœuré par les nouvelles manières du garçon, le papillon de nuit prit son envol et retourna vers son pays d’origine où sa famille l’attendait de puis si longtemps…