Les Enquêtes: Noël

Un 24 décembre. Une villa de banlieue sous la neige. Le soir tombait avec les flocons. Agitation de circonstance dans le séjour décoré.
« Bon sang, vous vous y prenez comme un pied, lança Pervost alors que j’accrochais les guirlandes dans le sapin.

– Peut-être, me défendis-je, mais au moins, je ne casse pas les boules de Noël en cherchent à les faire rebondir sur le sol.
– J’avais pris la petite rouge pour une des super-balles rebondissantes de Kognakowsky, conclut évasivement mon camarade en allant vers la cuisine où Berta, l’épouse du professeur Schneider, préparait des toasts à la moutarde et au fromage.
– C’est très charmant d’être venu passer le réveillon de Noël chez nous, dit-elle avec son adorable accent germanique.
– C’est charmant à vous de nous recevoir, répondit Pervost, mais vous n’auriez jamais dû confier la décoration du sapin à Daniel. Cet homme n’a aucun goût.
– J’entends tout! criai-je du salon alors que je plaçais la fameuse étoile dorée sur la cime du sapin.
– Cessez de m’espionner et concentrez-vous sur votre tâche, dit l’insupportable Pervost sans se retourner vers moi le moins du monde.
– Vous savez, nous n’avons pas d’enfant, reprit Berta d’une voix amicale, alors si nous pouvons recevoir des amis, c’est très bien.
– Daniel et moi sommes célibataires, répondit Pervost, nous serions restés seuls chacun de notre côté, c’est idiot.
– Maintenant, j’entends la voiture, dis-je, voilà les autres. »

Le professeur Schneider accompagna le bruit du moteur par une série de coups d’avertisseur compromettante pour sa réputation. Il descendit du véhicule accompagné par Kognakowsky et Slavon, la fiancée de ce dernier. Couple sans enfants eux aussi, ils avaient décidé de nous rejoindre à la dernière minute, mais un départ en vacances arrosé à la vodka avec des collègues de bureau avait rendu Slavon inapte à la conduite. Quant à notre camarade soviétique, il n’avait pas son permis. C’est donc le professeur Schneider qui était passé les prendre à leur domicile.

« Nous n’arrivons pas les mains vides! » dit Kognakowsky en saisissant la bouteille de Vouvray qu’il avait posée sur la plage arrière. C’est à ce moment-là que Slavon s’écroula sur le sol en essayant de sortir du véhicule. Kognakowsky reposa la bouteille et prit dans ses bras sa fiancée qui était couverte de neige.
« Je vais t’aider à atteindre la maison, dit le soviétique en la portant avec assurance.
– Effectivement, vous n’arrivez pas les mains vides! » dit Berta qui avait suivi la scène depuis la porte d’entrée.
Le professeur Schneider tendit un bouquet de fleurs à sa femme tandis que Pervost, croyant échapper à mon regard, déroba quelques toasts sur le plan de travail de la cuisine.

« Le mieux est de la poser sur le canapé, proposa Berta. Son mari y plaça de suite la bouteille de Vouvray.
– Je m’étais permis de la prendre moi-même, ajouta-t-il.
– Je parlais de Slavon, reprit Berta.
– Ça ira intervint cette dernière, je peux encore marcher. »

Slavon atteint le canapé tant bien que mal sous le regard inquiet de la maîtresse de maison. Je descendis de l’escabeau sur lequel j’étais perché pour saluer les nouveaux arrivants et nous ne tardâmes pas à nous mettre à table.

« C’est amusant, confia Pervost en désignant un groupe de figurines décoratives, votre crèche ressemble à une collection de poupées russes.
– C’est une collection de poupées russes, répondit Berta.
– Fabrication française assurément, ajouta Kognakowsky, mais charmant quand même.
– Je croyais que votre collection se trouvait sur la commode à côté du sapin, dit bêtement Pervost en se tournant vers le meuble en question.
– Ceci est la véritable crèche, dit le professeur Schneider tout en servant à boire.
– Je comprends mieux pourquoi je n’arrivais pas à les emboîter les uns dans les autres avoua Pervost en déboutonnant le col de sa chemise.
– Oublions la bêtise de notre camarade un moment, conclus-je, et trinquons plutôt à cette soirée. »
Nous levâmes nos verres et Pervost, qui était à ma droite, me marcha discrètement sur le pied. Berta but une gorgée de Vouvray avec nous et se retira dans la cuisine pendant que je bousculai Pervost du coude, l’air de rien. Elle revint au séjour avec un pain-surprise qu’elle déposa sur la table.
« Savez-vous d’où vient le nom de cette formidable recette? demanda le professeur Schneider d’une voix pleine de mystère.
– C’est à cause des petits sandwichs situés à l’intérieur, répondit Pervost en me pinçant subrepticement la cuisse.
– Pas du tout, répondit Schneider avec fierté. J’ai mené une enquête seul ces derniers jours et je suis heureux de vous faire part ce soir du résultat. Le pain-surprise est appelé ainsi à cause de la surprise qu’il provoque non pas par les petits sandwichs qu’il renferme, mais par ce que les sandwichs eux-mêmes contiennent!
– Que voulez-vous dire? demandai-je.
– Ne me dites pas que vous serez surpris en trouvant des sandwichs dans ce pain-surprise, reprit Schneider. En revanche, leur garniture vous intriguera d’avantage car vous n’en aurez aucune idée.
– Je m’attends vaguement à de la mousse au thon ou au fromage à tartiner, hasarda Pervost en saisissant un sandwich qu’il plaça dans sa bouche.
– Alors? demanda Schneider en souriant.
– Mais… c’est de la banane? s’exclama Schneider en écarquillant les yeux.
– Vive la banane! hurla Slavon en applaudissant depuis le canapé.

– Calme-toi! ordonna Kognakowsky qui la croyait endormie.
– Franz a cru bon de couper des bananes en rondelles pour le premier étage du pain surprise, ajouta Berta en levant les yeux au ciel.
– Le premier étage? dis-je. Vous voulez dire que ça redevient normal après?
– Tout dépend de votre conception de la normalité, répondit Schneider. A vous de voir… »

Pour en avoir le cœur net, je m’emparai du sandwich situé sous celui que Pervost venait d’avaler et découvrit les joies de la crème pâtissière mélangée au pain de mie.

Les heures s’écoulèrent après plusieurs descentes de bouteilles d’alcool, Berta amena la bûche. Une belle bûche au café parfumée à l’Asti Spumante, Slavon ayant renversé son verre sur la pâtisserie après nous avoir rejoints autour de la table.
« Demain, je me mets au régime, annonçai-je la bouche pleine.
– Cela nous sera difficile, dit le professeur Schneider, les parents de Berta nous invitent à déguster une dinde aux marrons à leur domicile.
– J’espère que les quarante bornes qui nous séparent d’eux seront franchissables malgré la neige, se lamenta l’épouse du professeur d’une voix angoissée.
– C’est vrai que ça tombe sec, ajouta Kognakowsy en regardant par la fenêtre.
– Oh oui, hurla Slavon en fixant le vide, ça tombe comme des mouches! »

Après quoi la brave femme s’écroula sur le sol pour la seconde fois. Pervost se leva comme pour la relever, mais les douze coups de minuit sonnèrent à la pendule.

« C’est l’heure des cadeaux! cria-t-il avant de se précipiter vers son sac d’où il extirpa plusieurs petits paquets.
– Chez moi, le Père Noël passe au petit matin, dis-je, mais je serai probablement parti alors va pour la distribution. »

Des dizaines de paquets circulèrent sur la table. Ceux de Slavon qu’on avait étendue sur le dos à même la moquette lui furent empilés sur le ventre. Pour ma part, je reçus deux boîtes de chocolat, une cravate rouge, un stylo à plume de grande marque et… une biographie de Patrick Timsit. Pervost qui avait reçu une lampe de chevet à couleurs changeante voulut l’essayer dans le séjour, mais fit sauter les plombs en la branchant. Nous passâmes le reste de la soirée dans l’obscurité à chanter des chants de Noël auxquels nous nous plaisions à rajouter quelques paroles obscènes. Ce fut une fin de réveillon toute en musique, nos voix étant rythmées par les ronflements sonores de Slavon et le crépitement du feu de cheminée déclinant que le professeur Schneider avait allumé en début de soirée. Nous veillâmes jusqu’à tard dans la nuit, le ventre plein et les oreilles remplies de chansons…

Laisser un commentaire