Les Enquêtes: Les trains

Aujourd’hui, nous nous sommes jetés à l’eau. Il fallait bien que quelqu’un se penche un jour ou l’autre sur cette question délicate : pourquoi les gens se lèvent-ils en avance pour descendre du train ?

Plusieurs théories sont à envisager.

La première : les gens ont envie de faire caca tous en même temps. Affolés à l’idée de rester debout sans bouger dans un tel état, ils se jettent vers la porte le plus tôt possible pour éviter d’attendre à l’arrivée.

La deuxième : les gens sont manipulés par quelqu’un ou quelque chose. Ils perdent conscience, sont hypnotisés par un ultrason et se dirigent vers la porte. Ils reprennent alors conscience une fois sur le quai et restent un peu ébahis quelques minutes. C’est pour cela que c’est toujours plus ou moins mou du genou quand on essaye de traverser la gare dans ces moments-là.

La troisième : les gens sont bêtes. Ils ne savent pas du tout pourquoi ils se lèvent. C’est d’ailleurs probablement la théorie la plus plausible.

Il nous fallut donc prendre un train. Nous étions tous les quatre entre la gare de Bourges et celle de Paris Austerlitz quand une vieille dame s’est levée soudainement de sa place.
« Où sommes-nous ? demanda Schneider.
– Nous venons de passer la gare des Aubrais, répondit Kognakowsky.
– Les Aubrais ? demandai-je.
– Oui, nous sommes au niveau d’Orléans, reprit le soviétique.
– C’est terrible ! commentai-je.
– C’est affolant, renchérit Schneider.
– C’est pire que la télévision, conclut Pervost en simulant un renvoi.
« Madame, intervins-je d’une voix très remontée, ce que vous faites est extrêmement troublant pour les jeunes yeux qui vous regardent. Voyez cette petite fille, elle va croire que le train a un problème si vous essayez de descendre en pleine voie.
– Pardon ? demanda la dame à la dent jaune et à la fesse fripée (enfin, pour la dent, ça saute aux yeux, mais pour le reste, ça n’est pas dur à deviner).
– Je dis que vous allez vous rasseoir bien sagement sans faire d’histoire, répondis-je en élevant ferment la voix.
– Oh ! »
La vieille ouvrit de grands yeux et prit les autres passagers à témoin. Tout le monde avait l’air de s’en foutre. Un petit vieux glissait subrepticement l’air de rien la main dans son pantalon pour soulager une crise de psoriasis anale très violente tandis qu’un garçonnet d’à peine huit ans versait le contenu d’une canette de jus d’orange dans l’espace séparant la chemise de sa petite sœur de la nuque de celle-ci. Mes acolytes se levèrent pour donner plus de poids à mon discours et la vielle calamité crut en toute légitimité à une intervention musclée des forces de l’ordre.
« C’est une honte ! cria-t elle en allant se rasseoir. De mon temps, on s’occupait d’avantage de remettre en place le relâchement d’une jeunesse par trop négligée que d’importuner de la sorte les personnes d’âge respectable telles que moi.
– On va déjà vous faire respecter certaines règles élémentaires de savoir vivre, rugit Schneider au monticule de chaire usée qui tremblait dans son fauteuil en retenant à grand peine un jet d’urine ô combien salvateur. On voyage assis, c’est comme ça. Les portes ne s’ouvrent pas entre les gares.
– Alors tenez-vous tranquille, rajouta Pervost, parce qu’on ne raffole pas des marioles par ici. C’est clair ? »
Un hurlement se fit entendre à l’autre bout du wagon. Visiblement, Kognakowski ne supportait pas de voyager debout et la durée de la confrontation avec l’immondice du troisième âge était venue à bout de sa résistance. Les éventails de son cœur palpitèrent de travers et le sympathique croissant au beurre absorbé en région Centre quelques heures plus tôt refit brusquement surface au fond de sa gorge sous une apparence nouvelle et déroutante. Le savant russe s’était rué vers les cabinets, mais le croissant au beurre fut le plus rapide. Un contrôleur alerté par le bruit fut aspergé en plein visage et tout le monde se tourna vers le spectacle en poussant diverses exclamations assez bruyantes et surtout riches de signification.

Pervost continuait à sermonner la dame en la frappant au crâne à l’aide de son porte feuille et j’étais allé me rasseoir avec Schneider qui s’endormit instantanément. J’étais un peu vexé car je comptais sur lui pour parler d’autre chose. Entre nous ces histoires de vomi et de vieille rouée de coups par mon camarade commençaient à me donner mal à la tête. En plus elle venait de perdre connaissance et Pervost était aux prises avec trois contrôleurs assez costauds. Kognakowski étaient à genoux au dessus de la cuvette des cabinets et Schneider commençait à ronfler bref, c’est pour ça que je me suis levé et dirigé vers les portes du wagon pour être le plus loin possible de mon petit groupe qui me décevait au plus haut point. C’est à ce moment là que j’ai entendu une voix dans mon dos qui disait :
« Assis monsieur ! »

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