Les Enquêtes: Les policiers sont de mauvais joueurs

« Pas de panique, lança Pervost en allumant la mèche d’un bâton de dynamite, ça doit fonctionner.
– Vous êtes certain que c’est une bonne idée? »
Mon collègue me fit taire en me mettant la main devant la bouche. Nous étions à plus de 3000 mètres d’altitude sur le mont Titlis dans la haute vallée d’Engelberg en Suisse centrale. Pervost soutenait dur comme fer que la raréfaction de l’oxygène en montagne n’empêcherait en rien l’explosion de son petit jouet. Une attente des plus angoissantes durant laquelle je revis certains épisodes de mon existence en accéléré aboutit au noircissement de nos faciès et à la destruction de nos jaquettes en tweed acquises à prix d’or chez Harrods lors d’un séjour londonien.
« Magnifique! clama Pervost en se débarrassant des restes de sa veste coûteuse et hors d’usage. Quel triomphe pour la science!
– Votre pantalon en toile de chez De Fursac est également anéanti, lui fis-je remarquer en apercevant de larges portions de son caleçon à rayures.
– Les efforts de trois longs mois d’études sur le rapport entre oxygène et combustion sont enfin récompensés. Merci de me le confirmer, Daniel. Je vais de ce pas écrire mon rapport. »

Nous rentrâmes au chalet où Kognakowsky et le professeur Schneider nous attendaient en jouant au jeu des sept familles. Le soviétique nous fit signe de nous taire, mais Pervost partagea verbalement sa découverte en plaçant violemment ses mains sur la table. Les joueurs sursautèrent et leurs cartes tombèrent devant eux.
« C’est rageant! s’emporta Kognakowsky, il ne me manquait que le grand-père Max Schrek pour avoir toute la famille mauvaise mine dans mon jeu.
– Et moi il ne me manquait que la fille, la petite Lolita si joliment illustrée pour avoir la famille Kubrick au complet, rajouta Schneider.
– Quel jeu c’était? demandai-je.
– Les sept familles du cinéma, répondit le soviétique.
– En tous cas, repris-je, je me demande bien comment vous faites pour y jouer à deux. Il faut être trois au minimum.
– Vous faites bien votre lit tout seul, répondit le professeur Schneider, alors qu’idéalement, vous savez comme moi qu’il faudrait être quatre. Un pour chaque coin. Et pourtant vous y arrivez bien. Comme quoi rien n’est impossible n’est ce pas? »
Je baissais la tête, honteux devant tant d’évidence et ouvris ma braguette. Mon geste provoqua un vif brouhaha qui agita le chalet ordinairement si calme.
« Doux Jésus! Daniel! Êtes-vous tombé sur la tête? demanda le professeur Schneider en prenant Kognakowsky par la main qui se débattit aussitôt.
– Pas du tout, répondis-je. Nous sommes venus ici pour réaliser une expérience. Elle est terminée. Tout cela m’a donné un peu chaud, surtout l’explosion alors je fais prendre l’air à mon intimité et j’en profite pour vous poser la question suivante: ferme-t-on sa braguette par pudeur ou pour ne pas attraper froid?
– C’est ridicule! rugit Schneider. On la maintient fermée par pudeur c’est évident.
– Ce qui est ridicule, rajouta Pervost, c’est que tout le monde se foute du résultat. Vous m’avez vu entrer avec les vêtements déchirés et vous n’avez même pas réagi. Alors je vous le répète, l’expérience est positive! Je pars me changer.
– Pour en revenir à votre braguette, Daniel, dit Kognakowsky en se tournant vers moi, je pense contrairement à mon collègue germanique qu’on la maintient fermée par peur des courants d’air car une braguette ouverte, qu’est ce que cela peut faire à la pudeur? D’ailleurs regardez… »
Le savant russe se leva et ouvrit sa braguette à son tour. Il se tourna vers le professeur Schneider qui se voila la face de sa main droite. Pervost revint dans le séjour à ce moment-là.
« Mais ça ne se fait pas! dit-il.
– Je le fais bien, répondit le russe.
– Alors moi aussi! s’extasia Pervost en détachant frénétiquement les boutons du blue-jean de rechange qu’il venait d’enfiler dans sa chambre.
– Moi je l’ai déjà fait, conclus-je. »
Nous nous tournâmes tous les trois vers le professeur Schneider qui se sentit obligé de défaire sa braguette à son tour. Horrifié par son propre geste, il s’arrêta à mi-chemin. Nous lui sautâmes dessus pour l’obliger à finir ce qu’il avait commencé. S’ensuivit alors une déplaisante séance de cris grotesques après quoi une sensation de soulagement visible put se lire sur le visage du professeur.
« Quand je pense à ce que j’ai perdu en vivant jusqu’à aujourd’hui coupé du monde par ce zip ridicule, dit-il en jouant à le faire monter et descendre à un rythme fantaisiste. Venez, allons tester dehors la crédibilité de notre trouvaille fantastique. »

Ce qu’il y a de bien quand on passe 24h00 en garde à vue pour outrage aux bonnes mœurs sur la voie publique, c’est que comme on est enfermé dans une seule et même cellule, on est bien obligé de faire des expériences et donc de travailler pour passer le temps, ce qui est une bonne chose pour notre association. On a voulu voir lequel de nous quatre ouvrait sa braguette le plus vite, mais ça n’a pas été apprécié. Pourtant il se trouve que c’est moi qui ai gagné. J’ai tout de suite enlevé mon pantalon que j’ai fait tournoyer au-dessus de ma tête à une vitesse folle pour manifester mon enthousiasme et c’est là qu’on m’a mis dans une cellule à part. J’imagine que les policiers avaient parié sur un autre que moi. J’affirme ici avoir prouvé par la réaction que ma victoire a suscitée que les policiers sont de mauvais joueurs.

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